Grâce à la fondation SHE, le savoir-faire des brodeuses est valorisé dans le monde entier. [P. Artesani]

Avec la réhabilitation du Kantha en Inde, un art traditionnel de la broderie et un précieux savoir-faire ont pu être préservés. Au Bengale et au Bangladesh, 1300 femmes ont ainsi pu obtenir de meilleures conditions de vie, mais aussi une vraie reconnaissance au sein de leur communauté et de leur famille.

A l'arrivée sur le marché mondial des textiles synthétiques il y a vingt-cinq ans, les kanthas, magnifiques tissus ornés de fines broderies stylisées fabriqués dans la région de Calcutta sont sérieusement menacés de disparition. Passionnée par cet art de « la peinture à l'aiguille », Shamlu Dudeja, mathématicienne indienne, décide alors de sauver ces trésors de l’oubli en fondant la Fondation Self-Help Enterprise (SHE).1

Un moyen d'être autonome

Basée à Calcutta, la Fondation SHE va permettre non seulement aux artisanes brodeuses de tirer un revenu équitable de cette activité, mais aussi de bénéficier d’un soutien avec des formations, de bourses d’études pour leurs enfants, d'un accès à des équipements scolaires et sanitaires, de programmes de santé et d'autonomie financière.

Les brodeuses sont organisées en groupes sous la direction de responsables d’équipes chargées de former, d'organiser et de répartir le travail. Elles sont rémunérées en espèces, car elles n’ont pas de banque près de chez elles et se déplacent très peu en dehors de leur village. Bien au-delà de l'aspect matériel, c’est d'un véritable « dignity business »2 dont il s'agit, car ce travail donne aux femmes un statut au sein de leur famille, vis-à-vis de leur mari, de leurs enfants. C’est aussi, au sein de leur communauté, une reconnaissance d’elles-mêmes, de leur savoir-faire, et la fierté devoir leur travail apprécié à l’étranger.

De plus, des liens sociaux se créent entre les communautés indienne et musulmane, lors de la réalisation des tentures, panneaux, jetés de lits, des oeuvres collectives qui prennent en moyenne de sept à huit mois.

Un art populaire qui a traversé le temps

Acheminés en Europe par la route de la soie, on désigna ces tissus matelassés et brodés sous le nom de Quilt (du latin culcita : sac rembourré), puis Kantha. Dans la région de Marseille, au XVIIe siècle, cet art populaire donna aussi le « boutis », tissu piqué orné de broderies pour la garde-robe et l'ameublement. Le Kantha indien est directement issu de cette tradition. Il prend son essor avec le « khadi », coton filé à la main, popularisé par Gandhi.

Dans les villages, ces tissus usagés aux motifs simples servent à la fabrication d'édredons et de jetés de lit. Peu à peu, les broderies évoluent et deviennent de plus en plus sophistiquées, exécutées sur coton ou sur soie, chatoyantes et colorées. Elles sont dès lors portées en châles, étoles, ornées de motifs floraux, animaliers, ou géométriques. Elles racontent des scènes de villages, mais aussi des épopées indiennes comme le Mahabharata ou le Ramayana3 sous forme de panneaux décoratifs.

Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, le poète Rabindranath Tagore, grand amateur de textiles, entreprend de rassembler les pièces les plus spectaculaires. Elles sont aujourd'hui exposées au Philadelphia Museum of Art, aux États-Unis.

Le soutien de SHE France

Lors d'un voyage à Calcutta, une historienne française, Dominique Boukris, tombe sous le charme de ces magnifiques pièces d'art textile réalisées par les villageoises, et décide de fonder SHE France pour soutenir ces initiatives. Elle organise des expositions dans des musées et des lieux publics et privés en France.

En 2013, elle a ainsi pu contribuer à la mise en place de deux dispensaires itinérants. Pour 2014, elle a pour projet l’installation de pompes à eau et de toilettes dans trois villages, ainsi que la création d'ateliers de teintures naturelles, afin d’éradiquer les teintures chimiques, préjudiciables à la santé des teinturières, et de préserver l’environnement.

Autant d’actions concrètes, qui permettent d'améliorer durablement le quotidien des villageois. La Fondation, qui souhaite donner à ces artistes anonymes une reconnaissance internationale bien méritée, a aussi entrepris des démarches pour faire inscrire le Kantha du Bengale et du Bangladesh au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.


A lire dans le numéro de Valeurs humaines n°44, juin 2014, p. 20-21.
Valeurs humaines est le mensuel des associations Soka du bouddhisme de Nichiren. Abonnement / Achat au numéro

Notes

  • 1. SHE, Self-Help Enterprise : organisme à but non lucratif de soutien et d'entraide aux femmes des régions rurales de l'Inde pour la formation et la production du Khanta. Site web : www.sheindia.org.
  • 2. Entreprise de la dignité.
  • 3. Le Mahabharata (haute antiquité) et le Ramayana (300 après J.-C.) sont des ouvrages de référence de la morale, des traditions et des concepts religieux et philosophiques de l'histoire de l'Inde.
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