Ile de Pâques [© Michel Hasson]

Défendre la diversité est l'antidote à un possible choc des cultures, à une destruction irréversible de l’environnement et à la mondialisation d’un modèle unique.

Homo sapiens – l’être humain – a une immense capacité d’adaptation. Au fil de centaines de millénaires, il a réussi à coloniser la presque totalité des écosystèmes terrestres. Pour le meilleur et pour le pire. Cette capacité s’est faite au détriment de nombreuses autres espèces. Homo sapiens a une fâcheuse tendance à s’imposer et à régner en maître.

Une vieille histoire

Il y a environ cent mille ans, parti d’Afrique, il passe au nord de la Méditerranée où l’homme de Néandertal a le malheur de se trouver sur son chemin : ce dernier disparaît il y a trente mille à vingt-cinq mille ans. Le même scénario se répète avec ses autres frères du genre homo : l'homme de Denisova en Asie centrale, l’homme de Solo, à Java, ou encore l’homme de Florès, île d’Indonésie. L'expansion d’Homo sapiens est telle que, depuis douze mille ans, il ne reste plus que lui dans le monde, et, ainsi que l’écrit le paléoanthropologue du Collège de France Pascal Picq : « Il est difficile d’identifier un autre facteur associé à la disparition des autres espèces d’hommes. »1

Puis, entre environ 9000 et 3000 ans avant notre ère, après avoir longtemps chassé et cueilli, Homo sapiens se sédentarise. Il invente diverses formes d’agriculture, marquant son entrée dans le Néolithique, ou Nouvel âge de pierre. Il commence à se multiplier, à construire, à modifier le paysage (déboisement, rizières...) et donc à consommer de plus en plus d’énergie. Pour autant, la Terre connaît alors la plus grande diversité d’espèces sauvages et un accroissement sans précédent de la diversité des animaux et des plantes domestiques, jusqu'aux premières conquêtes européennes en Amérique, à la fin du XVe siècle. La situation se gâte alors, surtout partir de la moitié du XIXe siècle, lors de la première révolution industrielle (charbon, acier), puis lors de la deuxième, au XXe siècle (électricité, pétrole, chimie). Non seulement la généralisation du modèle « occidental » a accéléré l’extinction d’espèces biologiques2, mais aussi la disparition de la diversité des langues et des cultures.3

Comme l’écrit Daisaku Ikeda dans sa proposition pour la paix de 2013 : « Nous assistons à un nivellement ou à une homogénéisation essentiellement dus aux facteurs économiques qui érodent le caractère unique de chaque culture. (..) Bien qu'elles soient en mesure d’enrichir notre vie, les différences et distinctions sont perçues comme des murs entre les gens. »4

Des espèces en coévolution

La diversité est une richesse : c’est la vie. C’est pourquoi il faut la célébrer. Préserver la biodiversité a été indispensable à notre évolution et l'est à notre survie. La biodiversité est « l’ensemble de la diversité des gènes, des interactions, des individus et des populations des espèces qui constituent un écosystème. Par conséquent, si un acteur s’éteint, c’est l’ensemble de la communauté écologique qui est menacée. »5 Ainsi, l’orchidée conditionne l’évolution d’un papillon à la longue trompe ; les fleurs se livrent une compétition pour attirer insectes et oiseaux ; un yucca a sa chenille préférée ; en Inde, les macaques sont les yeux de la forêt, et les daims, les oreilles, ce qui complique les approches des panthères et des tigres... Cela nous ramène au principe central du bouddhisme : la coproduction conditionnée ou interdépendance de toutes choses, à savoir le fait que tous les êtres et phénomènes n’existent ou n’apparaissent qu’en fonction de leur relation avec d’autres êtres et phénomènes. Comme l’écrit Nichiren : « Quand les herbes se dessèchent, les orchidées en souffrent; quand les pins croissent, les cyprès se réjouissent. »6 On sait aujourd'hui que les Mayas, les Vikings ou encore les habitants de l’île de Pâques se sont éteints après avoir progressivement anéanti tous les acteurs de leur écosystème. Ces sociétés se sont effondrées car « elles ont été incapables de repenser ce qui avait fait leur succès. »7

Des identités plurielles

S’il faut préserver la diversité biologique et culturelle, il est tout aussi nécessaire de prendre conscience de la pluralité de nos identités. Un être humain ne se réduit pas à une religion, à un lieu de naissance ou à une couleur de peau, encore moins à un acte, qu’il soit remarquable ou condamnable. Daisaku Ikeda le souligne : « Les membres d’un même groupe ethnique ou d’une même tradition religieuse n’ont pas une identité monolithique : l’environnement dans lequel ils ont été élevés, leurs occupations et leurs intérêts diffèrent, tout comme leurs convictions et leurs styles de vie. »8

On porte en effet en nous des identités multiples qui se sont forgées au fil des années, mais aussi au fil des siècles, à travers tous nos ancêtres, jusqu'à une origine africaine commune et lointaine.

“Tous parents, tous différents !”9

D'un autre côté, efforçons-nous de ne pas percevoir l’autre tel qu’il ne voudrait peut-être pas qu’on le voie : « C’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances et c’est notre regard aussi qui peut les libérer »10, nous alerte fort justement l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf. Cet ensemble d’identités multiples constitue notre personnalité unique qui participe de la diversité et de l’unicité du genre humain.

Pour exprimer la diversité, le bouddhisme utilise l’analogie avec les arbres fruitiers (cerisiers, pruniers, poiriers...) qui, tous, s’épanouissent en portant des fruits différents. Il a aussi recours au principe de jitai kensho : permettre à la nature intrinsèque du moi individuel de s’exprimer pleinement et de manière créative, sans entrer en conflit avec les autres et sans spolier qui ou quoi que ce soit.11 Sur la base de ces principes, Daisaku Ikeda propose le concept de « création de valeurs partagées ou réciproques » comme norme de comportement, à l’heure de la mondialisation.12 Des valeurs humaines comme la coopération, la compassion, le respect de la dignité et de la diversité, sources dune paix durable et dans lesquelles toutes les cultures peuvent se retrouver et se comprendre.


A lire dans le numéro de Valeurs humaines n°38, décembre 2013, p. 12-13.
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S’il faut préserver la diversité biologique et culturelle, il est tout aussi nécessaire de prendre conscience de la pluralité de nos identités. Un être humain ne se réduit pas à une religion, à un lieu de naissance ou à une couleur de peau, encore moins à un acte, qu’il soit remarquable ou condamnable.

Notes

  • 1. De Darwin à Lévi-Strauss – L'homme et la diversité en danger, Odile Jacob, 2013, p. 102.
  • 2. On estime que le taux d’extinction est cent à cent mille fois plus élevé que ceux du passé. Il y a, aujourd’hui, parmi de nombreuses autres exemples, plus de tigres dans les zoos qu'en liberté.
  • 3. Plus dune centaine de langues se sont éteintes complètement depuis deux siècles. Voir De Darwin Lévi-Strauss, p. 179.
  • 4. D&E-avril 2013, 21.
  • 5. De Darwin à Lévi-Strauss, p. 145.
  • 6. Ecrits, 505.
  • 7. De Darwin à Lévi-Strauss, p. 167.
  • 8. D&E-avril 2013, 27.
  • 9. Titre d'une exposition au Musée de l’Homme en 1999.
  • 10. Amin Maalouf, Les identités meurtrières, Grasset&Pasquelle, 1998, p. 29.
  • 11. Proposition pour la paix 1998, Le Défi de la paix, Le Rocher, 2003, p. 102.
  • 12. Ibid., p. 100.

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