[© M. Courant]

Si le manque de confiance ou l'inquiétude semblent parfois naturels, voire instinctifs, le bonheur, la liberté ou le courage ne tombent pas du ciel. Ils se décident et se cultivent. La plupart du temps, nous nous croyons libre et autonome, mais le sommes-nous vraiment ? Les décisions que nous prenons sont-elles toujours conscientes ?

Des études récentes ont montré que des choix apparemment conscients étaient, en fait, décidés à notre insu, quelques microsecondes avant qu'on ne les formule dans notre tête.1

Dans le processus de décision, les expériences passées, la culture, l'éducation, l'environnement, l'inconscient, jouent un rôle non négligeable. Plus de de nos actions quotidiennes seraient même de l'ordre de l'inconscient2 : pour nous rendre au travail, par exemple, nous suivons un parcours que nous avons mémorisé la (ou les) première fois et nous sommes, depuis, en « pilotage automatique ». Et c'est tant mieux, car nous libérons alors notre esprit pour lire, échanger, réfléchir, rêvasser. Mais c'est alors la routine et l'inattention qui nous guettent. Attention aux accidents !

En fait, les êtres humains ont plutôt une tendance au conformisme et à l'indécision. Ils ont peur de changer et ne savent pas vraiment quoi faire avec ce don qu'est la vie. En général, la vie manque de sens : à la fois de direction – savoir où aller –, et de signification – savoir pourquoi y aller. Ils se laissent porter par les habitudes, les modes, l'air du temps. Décider, se déterminer, c'est sortir de la routine et de la stagnation pour redonner du sens à nos actions et du dynamisme à notre vie. C'est reprendre le pilotage manuel. Notre « je dois » ou notre « je ne pourrai pas » deviennent alors « je veux ».

L'idéogramme chinois qui compose les mots japonais décision ou détermination (ketsu) souligne ainsi l'action d'ouvrir une brèche dans une digue pour libérer l'eau stagnante.

Des décisions conséquentes

Combien de ces décisions, prises par un seul ou quelques uns, bonnes ou mauvaises, ont fait ou feront l'Histoire, pour le meilleur et pour le pire ? La mythologie, l'histoire des religions, la littérature, le cinéma regorgent de ces moments où héros, prophètes, maîtres spirituels, scientifiques ou anonymes sont mis à l'épreuve, confrontés à des choix particulièrement douloureux, parce qu'ils engagent non seulement leur vie et leur avenir, mais aussi la destinée d'un peuple, d'une famille, de l'humanité. Ce faisant, ils rompent généralement avec l'ordre établi, la tradition et les autorités qui se satisfont de maintenir les gens dans la conformité.

On pense à Shakyamuni décidant de quitter sa famille, en quête d'une réponse à la souffrance. Aux bodhisattvas sortis de la terre et à leur Grand Voeu de transmettre la Loi bouddhique, dans l'avenir. A Nichiren, décidé à donner sa vie pour cette Loi : « Ma détermination est maintenant inébranlable. Résolu endurer n'importe quelle épreuve, j'ai accompli la prophétie du Bouddha et je n'ai pas le moindre doute. »3 A Prométhée « le Prévoyant », de la mythologie grecque, souhaitant compenser l'erreur de son frère Epiméthée (qui réfléchit après coup) qui a donné aux animaux, au détriment des êtres humains, les vertus les plus importantes : force, rapidité, courage, ruse. Le mythe grec rapporte comment ce messager divin décide de se rebeller pour voler (contre l'avis des dieux) le Feu sacré de l'Olympe (symbole de la connaissance, afin de l'offrir aux humains et leur permettre de s'instruire.4 Ou encore, plus près de nous, à Mikhaïl Gorbatchev prenant la décision de ne pas lancer l'armée contre ceux qui franchissaient le rideau de fer, dès l'été 1989.

La réalité qui n'est pas encore apparue

La vie est une longue quête d'autonomie. Une lutte contre les forces qui veulent nous maintenir dans l'ignorance et le malheur, ce que le bouddhisme nomme obscurité fondamentale. La décision de nous voir grandir, qui est d'abord celle de nos parents, doit devenir la nôtre. En bouddhisme, il s'agit de grandir dans notre foi, et donc dans notre humanité. Prendre des décisions, nous lancer des défis, nous aident à le faire. Les grandes décisions sont celles qui changent notre vie. Encore plus importantes sont sans doute les petites décisions quotidiennes qui nous changent nous-même et qui vont changer notre vie en profondeur.

A l'origine d'un sentiment de bonheur profond éprouvé au terme d'une vie, combien de marques d'attentions et de sourires parfois un peu forcés, mais décidés. A l'origine d'un sentiment de tristesse inamovible, combien de petites plaintes et de rancoeurs quotidiennes accumulées ? La pratique bouddhique nous permet de puiser force vitale et sagesse, deux éléments essentiels à une prise de décision créatrice de valeurs positives.

Nous retrouvons alors l'envie de désirer, choisir ou décider. La force de notre foi et la force de notre pratique activent la force de la Loi bouddhique et la force du Bouddha, et nous trouvons ainsi la force de nous lancer des défis que nous n'aurions pas osé nous lancer avant. Nichiren cite, à ce propos, le grand maître Tiantai : « On accepte ce Sûtra grâce au pouvoir de sa propre foi et l'on persévère grâce au pouvoir de sa détermination constante. »5

Cette force de décision nous permet d'ouvrir une brèche dans notre coeur, afin de libérer toute la sagesse et la lumière de notre neuvième conscience – l'état de bouddha – pour les diffuser sur nos autres niveaux de conscience et l'ensemble de nos états de vie. Nous régnons alors progressivement en maître sur notre esprit et contrôlons notre part d'inconscient et d'obscurité. Décider, c'est d'abord trancher, tel un arbitre, en faveur de notre état de bouddha contre notre obscurité fondamentale.

Eclairé par la sagesse du Bouddha, c'est ensuite prendre la décision qui va le plus contribuer à notre bonheur et nous faire sortir de notre routine karmique. On définit parfois l'ichinen (littéralement, « une pensée » ), ou la détermination, par la réalité qui n'est pas encore apparue. Notre bonheur, la paix, existent déjà à l'état latent. C'est notre détermination qui les rendra manifestes. Et rien d'autre.


A lire dans le numéro de Valeurs humaines n°23, septembre 2012.


Valeurs humaines est le mensuel des associations Soka du bouddhisme de Nichiren.
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La force de décision nous permet d'ouvrir une brèche dans notre coeur, afin de libérer toute la sagesse et la lumière de notre neuvième conscience – l'état de bouddha – pour les diffuser sur nos autres niveaux de conscience et l'ensemble de nos états de vie. (...) Décider, c'est d'abord trancher, tel un arbitre, en faveur de notre état de bouddha contre notre obscurité fondamentale.

Notes

  • 1. Votre cerveau n'a pas fini de vous étonner, ouvrage collectif, Albin Michel, 2012, p. 153.
  • 2. Ibid., p. 167.
  • 3. Lettre à Misawa, Ecrits, 904.
  • 4. En représailles, Zeus fait enchaîner Prométhée nu à un rocher où un aigle vient lui dévorer le foie chaque jour.
  • 5. La difficulté de garder la foi, Écrits, 473.
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Commentaires   
+1 #2 Marion 26-10-2015 13:44
Merci beaucoup pour ce très bel extrait. Il est inspirant et clair, parfait pour re-décider de décider.
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+1 #1 daniel 04-02-2015 15:38
Merci pour cet article qui m'a donné plus de lumière sur la prise de décision dans la vie.
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