Portrait d'Erasme de Rotterdam, par Quentin Metsys, 1517. Huile sur bois, transféré sur toile, 59 × 47 cm, Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome. Erasme (1466-1536) est un écrivain humaniste et un théologien néerlandais, auteur, en particulier, de l'Eloge de la folie, ouvrage satirique sur la société de l'époque.

Au XVIe siècle, l'Europe connaît de grands bouleversements et s'ouvre sur l'extérieur. Le regard de l'homme sur lui-même et son environnement change en profondeur. Les écrivains humanistes contribuent à l'élaboration d'un nouvel idéal.

Le XVIe siècle est une période de renouveau intellectuel. François Ier s'entoure des plus grands penseurs et mène une vie de cour fastueuse. Il favorise la vie artistique et littéraire tout en menant des guerres sanglantes contre l'Italie et des guerres de religion. L'Europe entière est secouée et ébranlée.

Ce paradoxe conduit les écrivains à s'interroger. Ils vivent à l'époque des grands voyages de Christophe Colomb qui découvre les Caraïbes, la côte d'Amérique centrale et l'embouchure de l'Orénoque. Vasco de Gama contourne l'Afrique, et Magellan sera le premier à faire le tour du monde. Ils vivent à l'époque des progrès scientifiques et techniques : Copernic découvre l'héliocentrisme, Gutenberg, l'imprimerie qui révolutionne littéralement le monde littéraire. Le siècle est véritablement traversé d'un élan qui le propulse vers l'avenir. Les écrivains humanistes vont s'en faire l'écho dans leurs écrits. Ils vont bénéficier des échanges commerciaux entre l'Italie et l'Orient après 1453. Les savants grecs se réfugient en Occident, ce qui va permettre aux écrivains occidentaux une meilleure connaissance de la culture antique. Cette culture les fascine et ils vont en tirer profit dans leur réflexion sur la vie.

L'esprit humaniste naît donc de cette ouverture sur le monde, de cet intérêt pour le savoir. Les connaissances se diffusent, les érudits voyagent d'un pays à l'autre, les échanges épistolaires sont nombreux, Thomas More1 et Erasme2 s'écrivent souvent. Les hommes s'interrogent, cherchent à se situer dans ce nouveau monde qui se dessine. Ils s'émancipent progressivement de l'obscurantisme du Moyen Age, s'ouvrent, et par là même se découvrent et se rêvent.

Humanitas : l'ensemble des qualités qui donnent à l'homme sa grandeur

Le terme « humaniste » n'apparaît qu'au XIXe siècle pour désigner les écrivains de la Renaissance. Il est emprunté à Cicéron : le mot humanitas désignait l'ensemble des qualités qui permettent à l'homme de se distinguer de la bête, ces qualités qui peuvent lui donner sa grandeur. C'est dans cet esprit-là que les écrivains du XVIe siècle se voient appelés « humanistes ». Ils sont animés par le désir de montrer ce que l'homme a de meilleur en lui. « J'ai lu dans les livres des Arabes qu'on ne peut rien voir de plus admirable dans le monde que l'homme. »3 Il s'agit là d'une nouvelle façon d'envisager l'homme et de le placer au centre de l'univers. Il entretient un lien étroit avec son propre créateur mais il est également un microcosme à lui tout seul dans le macrocosme de l'univers. Il fait donc ses propres choix et n'est pas enfermé dans les limites de sa nature comme l'animal : il est face à tous les possibles et il a la capacité de changer.

Sa dignité naît de cette particularité. « Si nous ne t'avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c'est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, te donnes la forme qui aurait eu préférence. Tu pourras dégénérer en formes inférieures, qui sont bestiales ; tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines. (...) Ô suprême bonté de Dieu le Père, suprême et admirable félicité de l'homme ! Il lui est donné d'avoir ce qu'il souhaite, d'être ce qu'il veut » Pic de la Mirandole a vingt-quatre ans quand il écrit ce passage extrait de De la dignité de l'homme4.

Un modèle humain s'élabore alors, sur le plan moral, philosophique, social, et esthétique. Les écrivains puisent leur inspiration dans la littérature antique, grecque et latine et étudient les textes dans leur version originale. Ils ont donc pour conviction que l'homme se fait lui-même. « L'homme ne naît pas homme, il le devient »5 affirme Erasme dans De pueris. Il faut donc réfléchir à éduquer l'homme. L'éducation pour bâtir des hommes est au cœur des préoccupations parce qu'il s'agit de permettre à l'enfant de se construire et de développer sa grandeur en travaillant sur lui-même. Cette formation de l'homme idéal doit se poursuivre de sa naissance à l'âge adulte.

« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme »

Certains écrivains vont encore plus loin dans la réflexion et ont une idée très précise de l'éducation. Rabelais l'illustre au travers de son personnage Pantagruel, père de Gargantua. Tout en respectant la personnalité de son enfant, il le confie à un précepteur qui saura éveiller en lui l'intérêt pour toute chose. Un dialogue constant s'effectue entre le maître et l'élève. Il lui explique tout ce qui l'entoure et tout ce qu'il voit du lever du jour au coucher. Il l'exhorte à devenir « un abîme de sciences », à ne laisser de côté aucune discipline, langues antiques et fondatrices de l'humanité, arts libéraux, géométrie, arithmétique, musique, astronomie, astrologie, sciences naturelles, droit civil...

Et il le met en garde : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te faut servir, aimer et craindre Dieu, et mettre en lui toutes tes pensées et tout ton espoir, et, par une foi orientée par la charité, lui être uni au point que tu n'en sois jamais séparé par le péché. »6

Il ne s'agit donc pas d'opposer la culture à la spiritualité. Le savoir construit l'homme et la spiritualité doit lui permettre de l'utiliser à bon escient. Cette vision de l'éducation n'est pas le fait d'idéalistes, les écrivains humanistes du XVIe siècle ont conscience des difficultés et des écueils. Montaigne, dans le chapitre XXV de ses Essais, insiste sur l'importance du maître, sur l'écoute qui doit être la sienne, et sur sa capacité à faire naître un jugement personnel. Le rôle du maître est de « mettre sur le chemin, parfois le laissant ouvrir ». L'éducation humaniste n'a d'autre but que d'apprendre « à se connaître, et à savoir bien mourir et bien vivre »7.


A lire dans le numéro de Valeurs humaines n°48, octobre 2014, p. 26-27.
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Si nous ne t'avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c'est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même...

Notes

  • 1. Thomas More (1478-1535) est un juriste, historien, philosophe, humaniste, théologien et homme politique anglais.
  • 2. Érasme, également appelé Erasme de Rotterdam (1469-1536) est un humaniste hollandais d'expression latine, écrivain et théologien.
  • 3. Jean Pic de la Mirandole (1463-1494), De la dignité de l'homme (De dignitate hominis), trad. Yves Hersant, Editions de l'éclat, 1993.
  • 4. Voir note 3.
  • 5. Érasme, De Pueris - « De l'éducation des enfants », Éditions Klincksieck, 2000.
  • 6. Rabelais, Gargantua, 1542, Chapitre VIII, traduit du français du XVIe siècle par M.-M Fragonard, éditions Pocket, 1997.
  • 7. Montaigne, Essais, Gallimard.
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