Françoise Coutant, Oubliée, 120 x 200 x 200 cm - métal, résine, papier.

Depuis que les hommes ont pris des pinceaux pour peindre, des outils pour graver ou sculpter, du papier et de l'encre pour écrire, ils ont dépeint la guerre. Mais, lorsqu'il s'agit de trouver des images de paix, la tâche est moins facile.

En Europe, depuis le début de la Renaissance italienne jusqu’à Picasso (1881-1973) au siècle dernier, en passant par Goya (1746-1828) et par le Douanier Rousseau (1844-1910), les peintres ont fixé de façon souvent saisissante cet aspect tragique de la société que l’on prétend, à tort, indissociable de la nature humaine.

Henri Rousseau, dit le Douanier, La guerre, vers 1894, huile sur toile, 144 x 195 cm. [© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay)]

Une sculpture pour la paix

La colombe de Picasso et le rameau d’olivier symbole de la paix quelle portait dans son bec, ont moins marqué les mémoires que sa peinture du désastre de Guernica. L’un des artistes les plus marquants d’un mouvement appelé « Nouveau Réalisme» en Europe, fut Arman (1928-2005). En 1995, la plus grande sculpture qu'il ait jamais réalisée, devant le ministère de la Défense à Beyrouth, s'appelle Espoir de paix.

Arman, Espoir de paix, 1995, sculpture érigée devant le ministère de la défense à Beyrouth, Liban.

On a dit de cette œuvre qu'elle offrait à la fois l'image de la cause et de l'effet, les armes et les ruines qu’elles engendrent. Elle est faite de 78 tanks, de jeeps et de canons coulés dans 5000 tonnes de béton et mesure 32 mètres de haut. Malheureusement, il faut aller à Beyrouth pour la voir, et il ne semble pas qu'elle ait eu le pouvoir de chasser à jamais le spectre de la guerre au Liban.

Il est certainement plus facile, pour les Parisiens, d'aller contempler L'Heure pour tous une autre sculpture d'Arman posée devant la gare Saint-Lazare. Mais il faut espérer que l’heure de la paix viendra avant que les aiguilles de cette accumulation de cadrans à jamais figés ne se remettent en mouvement !

La paix n’est pas quelque chose que seuls les gouvernements peuvent décréter, comme la guerre. Elle est impossible si elle ne commence pas dans le cœur des hommes et des femmes ordinaires. C'est là, depuis son origine, le message du bouddhisme. Il n’y a guère de plus belles images de sérénité que ces visages de bouddhas et de bodhisattvas que l’on peut admirer au musée Guimet, par exemple. Même si la mutilation des membres de certaines de ces statues démontre qu'elles n’ont pas reçu au cours des âges et dans leur pays d'origine le respect qu'elles méritaient.

Une approche non dogmatique de l'art

Daisaku Ikeda, président de la Soka Gakkai internationale, s’est entretenu à deux reprises avec André Malraux1 au Japon en 1974, puis à Verrières-le-Buisson, en 1975. L'une des premières questions que lui posa Malraux fut : « De quelle manière votre mouvement s’intéresse-t-il au domaine des arts ? Comme le font certaines organisations religieuses en Europe qui financent des artistes, afin qu'ils peignent un tableau pour leur église ? » Et Daisaku Ikeda répondit : « Pas du tout. Dans notre mouvement, l'important pour les artistes qui pratiquent est de graver la force de la croyance bouddhique dans leur propre vie et de s'en servir pour faire s'épanouir leur propre créativité. »

Il poursuivit en expliquant que le but de ces artistes bouddhistes était de contribuer au développement de la culture de leur époque en général.

On peut trouver de nombreux artistes parmi les pratiquants du monde entier. Et le large éventail des styles dans lesquels ils travaillent témoigne largement de l'absence de tout dogmatisme.

Tatsuo Miyajima, MEGA DEATH, 1999, 4,5 x 15,3 x 15,3 m. Installation exposée au Pavilion japonais lors de la 48e Biennale de Venise.

En 1999, lors de la dernière Biennale de Venise du siècle, Tatsuo Miyajima, bouddhiste de la Soka Gakkai, représentait le Japon. Il présentait une installation futuriste de LEDs (Light Emitting Diods), lumières dont les allumages et extinctions intermittentes étaient électroniquement programmés, dans une salle plongée dans l’obscurité. Et, dans une autre salle, il présentait des pousses d'un arbre sauvé de l’irradiation nucléaire à Nagasaki et les offrait aux visiteurs, en les invitant à former des clubs ayant pour but de faire repousser partout dans le monde, ces « arbres de la paix ».

En France même, nombreux sont les artistes qui puisent dans la foi bouddhique la source de leur créativité. Je conserve à l'esprit l'œuvre extrêmement poétique de la sculptrice Françoise Coutant. Elle disait travailler « pour lutter contre l'opacité du monde, pour ouvrir l'espace et percevoir le lointain. » Trop tôt emportée par la tempête Xynthia en Vendée, en 2010, elle laisse une œuvre à nulle autre pareille. Je crois la reconnaître dans cette œuvre intitulée oubliée. J'ai l'impression que c'est elle, la petite poupée tombée à la renverse dans l’escalier.

L'art est facteur de paix

Le sentiment du beau, qui existe en chacun de nous, resterait inutile si une œuvre d’art, peinture ou sculpture, photographie ou film, poème ou roman, ne venait pas le réveiller. Il serait aussi incapable de nourrir la joie d’être en vie qu’un saxophone enfermé dans son étui de faire entendre un morceau de jazz. L'œuvre d'art, même si sa création est parfois douloureuse, lorsqu’elle aboutit et devient concrète et visible, consacre le triomphe d’avoir réussi à exprimer quelque chose que les yeux, d’ordinaire, ne peuvent pas voir. Elle procure, à celui ou à celle qui l'a créée, la joie d’avoir percé le silence et l’espoir d’être un jour compris.

Il n’y a peut-être pas plus d’art de la guerre que d’art de la paix : l'art ne peut s'épanouir que dans la paix ; l'art lui-même est la paix.


Par M. Albert. A lire dans Valeurs humaines n°31, mai 2013, p. 26-27.
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La paix n’est pas quelque chose que seuls les gouvernements peuvent décréter, comme la guerre. Elle est impossible si elle ne commence pas dans le cœur des hommes et des femmes ordinaires. C'est là, depuis son origine, le message du bouddhisme.

Note

  • 1. Ningen kakumeito Ningen no Jôken (Révolution humaine et condition humaine. Non traduit en français), Editions du Seikyo Shimbun, 1981, p. 16-20.

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