Passage piéton à Taipei, juin 2006. [Robert S. Donovan /CC]

S’engager à respecter véritablement l’être humain, malgré toutes ses carences, amène à changer de regard sur ce qui nous entoure. C’est voir beaucoup plus loin. C’est de ce fait, ne plus se sentir victime des évènements mais devenir acteur d’une pièce dont on découvrira les données au fur et à mesure.

Qu’entend-on par engagement humaniste ? C’est prendre conscience que, parmi l'immense diversité des manifestations de la vie dans l’univers, nous sommes membres d’une espèce très créative, dotée de conscience et de raison. Et dotée d’autant de capacités destructrices... Et c’est choisir la vie et non la destruction. Alors, sur quoi s’appuyer pour maintenir le cap de l’engagement humaniste et développer une telle liberté intérieure ?

L'humanisme de la Renaissance

Pendant la Renaissance, l’aventure humaine prend une dimension extraordinaire : on découvre des continents habités au-delà des océans (Christophe Colomb, Vasco de Gama), la Terre n’était plus le centre de l’univers (Copernic), on peut diffuser largement les écrits par l’imprimerie (Gutenberg). C’est également la redécouverte de la civilisation gréco-romaine qui glorifie l’humain : « L’Homme est la mesure de toute chose », affirme Protagoras1. Tout semble possible.

Depuis, cette foi et cette confiance dans l’espèce humaine ont montré leurs limites. C’était ignorer jusqu’où pouvait mener cette dimension destructrice innée, lorsqu’elle peut s’exprimer librement. Doté du statut de maître du monde, l’être humain s’est autorisé tous les excès : mépris et destruction de la nature, légitimité d’exploiter les autres avec barbarie, de détruire des peuples considérés comme inférieurs.

L'humanisme du Sûtra du Lotus

Le bouddhisme ne nie pas la dimension dévastatrice de l’être humain. Mais il s’appuie sur sa dimension constructive. Le Sûtra du Lotus explique que nous sommes à la fois un petit soi individuel confronté aux misères du quotidien et le grand soi universel qui illumine notre vie. Et par voie de conséquence : « En prenant conscience d’un soi plus grand (et universel, l’homme maîtrise son soi inférieur (et individuel) et les désirs qui y sont associés. »2

Josei Toda3 expliquait cette loi de la vie, de façon imagée : « Le principe de l’entité réelle de tous les phénomènes régit la vie, celle d’un chien en tant que chien aussi bien que celle d’une personne en tant qu'être humain. »4 C’était une façon de mettre des limites à l'arrogance de l’être humain qui se prend trop souvent pour le centre du monde. Et une façon d’insister sur la nécessité de surmonter notre nature égocentrique, de contrôler nos désirs pour les transformer en forces spirituelles constructives.

Les bodhisattvas sortis de la terre qui apparaissent au début du chapitre du Sûtra du Lotus concrétisent le sens de la bienveillance, la compassion, la sagesse et la responsabilité que l’on se devrait de développer en tant qu’être humain. « Leur corps est de teinte dorée, doté des trente-deux traits caractéristiques (d’un bouddha) et il émane deux un éclat indescriptible. »5

Et plus loin on nous indique la marche à suivre : « ...apprenant avec intelligence la voie du bodhisattva, / non souillés par les choses de ce monde, / comparables à la fleur de lotus dans l’eau. »6 Autrement dit, la voie de bodhisattva et le développement de notre liberté intérieure passent par le fait de ne pas se laisser souiller par les choses de ce monde que sont nos émotions, nos peurs, nos frustrations, notre avidité, nos colères, notre accablement face à nos déboires. Comme nous l’avons vu, nous ressentons ces souffrances parce que nous restons axés sur notre moi inférieur, notre petit ego. C’est la coupure entre le petit et le grand ego qui nous amène à nous sentir victime de notre entourage, de la société, de la vie... Mais comment faire? Surtout ne pas tenter de fuir le marécage de la société. Là réside le secret. Nous transformerons alors « l’eau marécageuse des désirs terrestres en une illumination joyeuse. »7 Et lorsque nous réussirons, nous nous dresserons, comme la fleur de Lotus qui prend racine dans l’eau boueuse et s’épanouit pure et délicate à sa surface.

Devenons tous poètes

Pour avoir le courage de ne pas fuir, pour que ce combat ait du sens, il est indispensable de retrouver cette union entre notre petit soi et l’univers, de fusionner avec le grand soi en laissant s’exprimer notre état de bouddha. « En rupture avec le cosmos, avec la nature, avec la société et avec les autres, nous sommes devenus fragmentés », explique Daisaku Ikeda qui ajoute : « Les yeux d'un poète découvrent en chaque personne une humanité unique et irremplaçable. Alors que l'arrogance de l’intellect tend à contrôler et à manipuler le monde, l’esprit poétique s’incline avec respect devant ses mystères. Le véritable bonheur ne se trouve pas dans le simple fait de posséder, mais plutôt lorsque nous nous sentons plus profondément en harmonie avec le monde (...). Nous avons besoin de réveiller l'esprit poétique en nous. Nous devons tous être poètes. Notre planète est balafrée et blessée, ses systèmes vitaux menacent de s’effondrer. Nous devons faire de l'ombre et protéger la Terre avec les feuilles du langage émanant de notre vie profonde. La civilisation moderne ne sera en bonne santé que lorsque l’esprit poétique aura retrouvé la place qui lui revient. »8

Puissions-nous apprendre à faire la différence entre l’appétit goulu du petit ego, du petit soi avide de plaisir et de pouvoir, trop persuadé d’avoir raison, et l’émerveillement devant l'infini de l’univers présent dans chaque manifestation de la vie.


A lire dans le numéro de Valeurs humaines n°48, octobre 2014, p. 20-21.
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Notes

  • 1. Penseur grec (490-420 av. J.-C.).
  • 2. D. Ikeda et A. Toynbee, Choisis la vie, L'Harmattan, 2009, p.343-344.
  • 3. Josei Toda (1900-1958) : deuxième président de la Soka Gakkai.
  • 4. Entretiens avec D. Ikeda, La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol. 3, Acep, p. 19 (Ed. 2002) ; vol. 1, p. 607 (Ed. 2013).
  • 5. Burton Watson, The Lotus Sutra, chap. XV, Columbia University Press, p. 213. Pour la version française : Le Sûtra du Lotus, Les Indes savantes, p. 207.
  • 6. Ibid., p.222. Pour la version français : Le Sûtra du Lotus, Les Indes savantes, p. 215.
  • 7. Entretiens avec D. Ikeda, La Sagesse du Sûtra du Lotus, vol. 3, Acep, p. 92 (Ed. 2002) ; vol. 1, p. 675 (Ed. 2013).
  • 8. Souvrir à l'avenir, « Être de nouveau relié au monde », L'Harmattan, 2013, p. 50. Ce livre rassemble les essais de Daisaku Ikeda parus dans le Japan Times, quotidien de langue anglaise au Japon, entre septembre 2003 et janvier 2008.

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