Traduit de Nichiren Buddhism and Empowerment, du Dr Yoichi Kawada, directeur de l'Institut de Philosophie Orientale de Tokyo. Article publié à l'occasion de la Convention de l'Association américaine de psychologie (APA), à Boston, le 26 août 1999.




Nichiren est le moine bouddhiste japonais du XIIIe siècle dont la doctrine inspire les activités de la SGI. Dans cet article, j'aimerais explorer les zones de contact entre le bouddhisme de Nichiren et la notion d'autodétermination.1

Nichiren était versé dans l'histoire intellectuelle du bouddhisme. Sa compréhension était fondée sur les sûtras – les enseignements du Bouddha – et il s'appuya sur les théories et exégèses des érudits indiens Nagarjuna et Vasubandhu, et des écoles bouddhistes de T'ien-t'ai, en Chine et de Dengyô, au Japon. Ainsi, en discutant de la notion d'autodétermination, je commencerai par explorer les points de contact entre la psychologie occidentale moderne et la théorie des « huit consciences » élaborée par Vasubandhu, puis adoptée et développée par T'ien-t'ai et Nichiren.

L'historien Arnold Toynbee a déclaré que les deux grandes découvertes du XXe siècle étaient la théorie de la relativité dans le domaine de la physique et la découverte de l'inconscient dans le domaine de la psychologie. Il a ajouté que la découverte de l'inconscient révélait que chaque individu est effectivement un cosmos en lui-même, un univers.

La découverte de l'inconscient est attribuée à Freud, dont les travaux furent suivis par ceux de Adler, Jung, Maslow et d'autres, qui ont accru de manière dramatique notre compréhension du « cosmos » psychique.

En Orient, il y a quelque 2500 ans, Shakyamuni a adapté et reformulé de manière créative l'ancienne philosophie des Upanishad alors qu'il développait sa propre philosophie. Son Eveil, alors qu'il méditait sous l'arbre de la Bodhi, peut être considéré comme un événement déterminant, un point critique, dans la psychologie orientale. Cet Eveil a débuté par des réalisations sur son propre inconscient et s'est étendu pour illuminer le vaste cosmos psychique.

L'exploration de son monde intérieur, ce cosmos intérieur, a dépassé le niveau individuel, s'approfondissant pour finalement inclure toute l'humanité. Il continua à explorer les limites du soi, le fondement commun à tous les êtres vivants, jusqu'aux confins du domaine où le soi fusionne avec la Terre, le système solaire et l'univers entier. Il s'est finalement éveillé à la sagesse fondamentale de la vie, la vie de l'univers elle-même, qui donne naissance à tous les phénomènes alors qu'ils évoluent en harmonie avec le cosmos psychique.

Plus tard, les pratiquants du bouddhisme se référeront à la force de vie cosmique, à laquelle Shakyamuni s'est éveillé, en lui donnant le nom de « nature de bouddha ». Ils exploreront les moyens et les méthodes par lesquelles faire l'expérience de cette vaste énergie, dignité et sagesse issues de cet état de vie. Des méthodes, en d'autres termes, d'autodétermination.

La structure à trois niveaux de la conscience

Ici, j'aimerais donner les grandes lignes des enseignements des huit consciences qui forme une des bases importantes de la psychologie bouddhiste.

Le mot qui a été traduit par « conscience » est le sanskrit vijnana, qui indique un large éventail d'activités incluant la sensation, la cognition, l'affect et la pensée consciente. Vijnana peut être conçu comme se référant au cosmos psychique dans son ensemble.

Selon l'école Yogacara, vijnana comprend trois niveaux : 1) les cinq sens et la conscience de l'état de veille ; 2) la conscience mano ; et 3) la conscience alaya, considérée comme le centre, le lieu fondamental de l'activité psychique. En d'autres termes, le contenu de la conscience alaya se fait ressentir et se manifeste à travers les activités de la conscience mano, aussi bien qu’à travers les cinq sens et la conscience de l'état de veille. Inversement, les activités des couches superficielles sont inscrites dans les profondeurs de la conscience alaya. Il existe donc une interaction intime et constante entre les différents niveaux de conscience.

Il devrait également être souligné que la conscience alaya ne devrait pas être comprise simplement dans sa signification ontologique, en tant qu'existant, mais également dans sa dimension cognitive, voire éthique.

Les consciences mano et alaya correspondent de bien des façons aux inconscients individuel et collectif de la psychologie Jungienne.

J'aimerais tout d'abord me pencher sur la conscience mano, qui est décrite comme émergeant de la conscience alaya et focalisée, dans son « attention », sur elle.

Dans un sens, la conscience mano peut être comprise comme le siège de la conscience de soi la plus basique. Mano est dérivé d'un verbe sanskrit, manas, qui signifie « réfléchir » ou « considérer ». Ainsi, la conscience mano est toujours en train de réfléchir à, et réifier la conscience alaya de l'individu, qu'elle perçoit comme quelque chose d'unique et isolé du reste. C'est de cet attachement à la conscience alaya ainsi réifiée que la conscience mano génère le sens de soi, un soi limité et isolé que le bouddhisme appelle le « petit ego ».

Lorsque la conscience mano fonctionne de cette manière, elle donne naissance à une série d'illusions qui se manifestent, dans les couches de la perception et de la conscience, sous la forme d'un attachement et d'une fierté lié au sentiment de soi en tant qu’être isolé.

L'illusion que la conscience alaya réifiée est le vrai soi est, en bouddhisme, identifiée à l'ignorance fondamentale, qui équivaut à se détourner de la vérité de l'interdépendance de tous les êtres. C'est ce sens d'un soi séparé et isolé des autres qui engendre la discrimination à l'égard d'autrui, l'arrogance destructrice et l'avidité.

Le petit ego manque profondément d'assurance, et vacille entre des sentiments de supériorité et d'infériorité vis-à-vis des autres. Dans la poursuite de sa propre satisfaction, le petit ego peut inconsidérément heurter ou blesser les autres. Lorsque la conscience mano est emplie d'ignorance quant à la nature du soi, celle-ci engendre à son tour toute une série d'illusions décrites et classifiées minutieusement par les premiers bouddhistes, mais que j'omettrai ici. Il suffira de dire que la conscience mano crée le sens d'une forte séparation entre soi et les autres et provoque des attitudes discriminatoires envers ce que nous percevons comme autre.

Les caractéristiques de la conscience alaya

Dans son Trimsika-vijnapti, Vasubandhu attribue les caractéristiques suivantes à la conscience alaya. Tout d'abord, elle n'est pas obscurcie par l'illusion et elle est moralement neutre, c-a-d, elle est également réceptive à l'empreinte karmique des causes positives comme négatives. Ensuite, elle est extrêmement dynamique ; son flot est comparé à celui d'un torrent impétueux. En sanskrit, le mot alaya signifie « emmagasiner », et c'est dans cette conscience que les causes latentes, décrites métaphoriquement comme des graines, sont effectivement engrangées.

Le karma est, bien entendu, un concept fondamental en bouddhisme. Il postule que nos pensées, nos paroles et nos actes (conscients ou dans le domaine inconscient de la couche mano) exercent inévitablement une influence qui s'imprime dans les couches les plus profondes de la vie, la conscience alaya. Lorsqu'elles rencontrent les conditions propices, ces causes latentes, ou graines karmiques, deviennent manifestes comme des fonctions de la conscience mano ou d'un niveau de conscience plus superficiel.

Ces graines karmiques peuvent être soit positives, soit négatives. Les causes latentes positives deviennent manifestes sous la forme de fonctions psychologiques positives telles que la confiance, la non-violence, le contrôle de soi, la bienveillance et la sagesse. Les causes latentes négatives deviennent manifestes sous des formes variées d'illusions et de comportements destructeurs. Dans ce sens, la conscience alaya peut être comprise comme se plaçant en amont des illusions ; elle n'est pas entâchée ou influencée par celles-ci. Elle demeure neutre et également réceptive à un type ou l'autre d'empreintes karmiques.

Comme il a été mentionné précédemment, la conscience alaya interagit constamment et intimement avec les autres niveaux de conscience, comme la conscience mano, la conscience de l'état de veille et les fonctions sensorielles. Elle n'est pas une chose séparée ou indépendante. On peut le mieux se la représenter comme un flot évoluant avec vitalité. C'est cette absence d'immobilité, cette fluidité, qui ouvre la possibilité de transformer son contenu et de fonctionner avec les autres niveaux de conscience.

Transformer la conscience et acquérir de la sagesse

L’idée de transformer la conscience et d’acquérir de la sagesse est une idée centrale dans la psychologie bouddhiste et représente peut-être sa contribution la plus directe à la notion d’autodétermination.

L’école indienne Yogacara a élucidé la structure à huit niveaux de la conscience décrite ci-dessus. Puis ce furent les écoles Tiantai et Hua-yen (Kegon) en Chine qui découvrirent la neuvième conscience, amala, conscience pure sous-tendant, soutenant et englobant le fonctionnement de la conscience alaya.

Reprenant la lignée de l’enseignement des neuf consciences, Nichiren décrit différents types de sagesses, telles qu'elles apparaissent à chaque niveau. La conscience amala manifeste la sagesse de comprendre que nous ne faisons qu'un avec la force de vie cosmique. C'est la sagesse fondamentale de l'univers vivant, et c'est en faisant apparaître cette sagesse la plus fondamentale que nous sommes à même de transformer le fonctionnement des autres niveaux de conscience, incluant celui de la conscience alaya, où résident les causes karmiques profondes. Cette transformation est le but de la psychologie et de la pratique bouddhiques, notamment à travers la poursuite de la voie altruiste du bodhisattva.

La pratique bouddhique imprime des causes positives dans la conscience alaya. Plus nombreuses et plus fortes sont ces causes, plus le contenu de la conscience alaya peut être transformée. Alors que la conscience alaya est transformée, elle brille de l'éclat d'une sagesse comparable à un grand miroir, reflétant parfaitement tous les phénomènes sous leur véritable jour. C'est la sagesse de l'interdépendance, la sagesse de percevoir et de comprendre que, au niveau le plus profond, nous sommes tous interconnectés et interdépendants.

Lorsque la conscience alaya est transformé de cette manière, elle stimule l'apparition de la sagesse de la conscience mano, qui perçoit l'égalité de toute chose. En d'autres termes, la conscience mano ne fonctionne plus comme le lieu de la discrimination cognitive, mais perçoit sa propre conscience alaya comme faisant partie de la force, toujours mouvante et créatrice, de la vie cosmique. En d'autres termes, la conscience mano cesse de générer un sens de soi faussement isolé, en conflit ontologique avec les autres.

Surmonter la tendance profonde à réifier et à s'accrocher à la conscience alaya permet à l'individu de surmonter sa peur de la mort physique. Celle-ci est remplacée par la conscience profonde que la conscience alaya est le flux de la vie, répétant les cycles de la vie et de la mort, soutenue et englobée par la vitalité et la sagesse fondamentales inhérentes à l'univers, c-à-d, la conscience amala, la neuvième conscience. La mort est perçue comme le déclin cyclique de la capacité à soutenir le fonctionnement actif de la conscience mano, de la conscience de veille et des organes des sens. A la mort, ces fonctions deviennent latentes au sein de la conscience alaya, mais celle-ci ne s'éteint pas pour autant. Elle maintient la continuité du flux vital à travers les cycles de vie et de mort.

Lorsque des illusions profondes sur la nature du soi et de l'existence sont surmontées, la conscience mano peut fonctionner comme le lieu de caractéristiques positives, telles que la confiance, le contrôle de soi et la bienveillance.

La transformation des couches les plus profondes de la conscience se répercute sur le fonctionnement de la cognition et de la perception, situées dans la conscience de veille et l'appareil sensoriel. Celles-ci deviennent imprégnées de leur propre forme de sagesse, notamment la sagesse de contrôler librement les fonctions des sens et d'agir de la manière la plus constructive pour soi et les autres.

Une personne qui s'efforce constamment d'effectuer une telle transformation de tous les niveaux de sa conscience, et qui cherche à inspirer et aider les autres dans cette même quête, est appelée un bodhisattva.

Le mouvement de la SGI et la voie du bodhisattva

Dans le bouddhisme de Nichiren, la pratique fondamentale consiste en la récitation de Nam-myoho-renge-kyo, face au mandala inscrit par Nichiren dans le but de permettre aux gens de manifester la sagesse de la neuvième conscience, la conscience amala. De cette manière, nous recherchons à transformer la conscience et acquérir de la sagesse, éveiller la nature de bouddha qui ne fait qu'une avec la vaste force de vie cosmique, et établir le soi du bodhisattva.

(...) L’action de la SGI pour promouvoir un mouvement contemporain de la voie du bodhisattva est ancrée dans les efforts des individus pour transformer leur cosmos psychique intérieur. En manifestant la sagesse à tous les niveaux de conscience, et en encourageant le développement de cette sagesse dans nos familles, communautés et sociétés, nous cherchons à surmonter l'illusion qui donne lieu à la série bien connue des troubles sociétaux et personnels – allant du sentiment d'impuissance généralisé, aux conflits intra et inter sociétaux et la destruction écologique. Alors que la voie du bodhisattva peut paraître une approche graduelle, nous sommes confiants qu’elle représente une transformation fondamentale, capable d’améliorer la vie des individus ainsi que de l'humanité dans son ensemble.




Yoichi Kawada. Né dans la préfecture de Kagawa au Japon en 1937, il est diplômé de l'université de Kyoto et a achevé son doctorat d'immunologie en 1968. Il est une figure reconnue du champ de l'histoire et de la philosophie bouddhistes, qui rapproche les perspectives bouddhiques sur les problématiques contemporaines telles que la bioéthique et la pratique de la médecine clinique. Le Dr Yoichi Kawada a été nommé directeur de l'Institut de Philosophie Orientale en 1988.

Note

  • 1. Note du traducteur : le terme anglais self-empowerement n'a pas d'équivalent direct en français et se traduit parfois par le terme « autodétermination », employé ici.
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