Romain Rolland et Stefan Zweig, Correspondance : 1910-1919, Albin Michel, 2014.

En 1910, deux géants intellectuels européens, Romain Rolland (1866-1944) et Stefan Zweig (1881-1942), débutent une correspondance qui durera trente ans et constitue un témoignage majeur de l’histoire culturelle européenne.

Romain Rolland, citoyen français, est la conscience de l'Europe culturelle humaniste. Son oeuvre Jean-Christophe1 lui vaut le prix Nobel de littérature de 1915. Stefan Zweig, écrivain autrichien, le considère comme son maître et combattra toute sa vie pour promouvoir son oeuvre dans les pays germanophones. Leur estime réciproque saura résister, au prix d'un combat spirituel intense, aux nationalismes de la Première Guerre mondiale, et préfigurent une amitié sincère et durable que le second conflit mondialne pourra entamer.

Plusieurs passions animent Romain Rolland : la musique, la littérature et le théâtre. Stefan Zweig découvre le premier volume de Jean-Christophe, en 1907, et les idées que cette oeuvre évoque le fascinent. Il est lui-même passionné par les littératures francophone et anglophone. Il traduit en allemand de nombreux écrivains européens, dont le poète belge Verhaeren, l’Anglais John Keats, le Français Paul Verlaine, et trouve ainsi sa place au coeur d'un réseau humaniste européen.

Dès le début du conflit, Rolland refuse l'inéluctabilité de la guerre et affirme ses idées pacifistes dans son célèbre article, « Au-dessus de la mêlée »2, en septembre 1914. Zweig, quant à lui, bien qu’européen, se laisse entraîner, dans les premiers mois de la guerre, par une vague de patriotisme germano-autrichien. Mais, devant le déferlement de la barbarie militaire, il revient à ses idées pacifistes. Il échange avec Rolland 35 lettres entre septembre et décembre 1914, et 70 en 1915, malgré un service postal qu’on imagine très perturbé. Rolland saura lui rendre un espoir que Zweig avait perdu, lui assignant la mission de sauver l’esprit européen et de rendre possible la réconciliation.

Des opinions bellicistes majoritaires dans leurs pays respectifs aux trahisons de leurs propres amis, les deux écrivains auront à surmonter de nombreuses épreuves. Mais leur amitié réciproque leur sera toujours d’un soutien puissant : « L'épreuve qui a ruiné tant de faibles amitiés a trempé la nôtre (...). Vous avez le respect et l’amour de la vie. Vous ne sacrifiez pas à ces idéologies magnifiques et dérisoires qui sucent comme des vampires le sang de l'humanité. »

Rolland, soutenu par son disciple – qui fera le maximum pour que soient éditées les oeuvres de son mentor – continuera son combat pour son idéal de fraternité humaine, et projettera la fondation d’une communauté d’intellectuels pour une Europe humaniste.

En lisant cette correspondance, nous vivons les affres du combat poignant mené par deux amis en littérature; par deux humanistes qui se font les champions solitaires et visionnaires de la cause européenne.


• Romain Rolland et Stefan Zweig, Correspondance : 1910-1919, Albin Michel, 2014, 600 pages, 30 euros.


A lire dans le numéro de Valeurs humaines n° 49, novembre 2014, p. 34.
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Notes

  • 1. Roman dont le héros incarne un espoir d'une humanité réconciliée, notamment en montrant la complémentarité de la France et de l'Allemagne.
  • 2. Édité en poche, dans la collection Petite Bibliothèque Pagot, en 2013. Extrait de la 4e de couverture : « Cet article, publié le 24 septembre 1914 dans le Journal de Genève, est le plus célèbre manifeste pacifique de la Grande Guerre. Ce texte exhorte les belligérants à prendre de la hauteur pour mesurer l'ampleur du désastre. »
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