Davi Kopenawa, défenseur des droits des Indiens amazoniens.

Depuis les temps les plus reculés, notre terre abrite des cultures fondamentalement pacifiques, riches d'une sagesse leur permettant de maintenir des relations harmonieuses avec l’environnement naturel et humain.

« Les trains qui arrivent à l'heure n'intéressent personne », répètent les journalistes. Prôner la paix entre les peuples est un message difficile à faire entendre, qui peut vous faire passer pour un grand naïf. C’est d’autant plus vrai dans une société hyper médiatisée comme la nôtre, où téléspectateurs et internautes réclament leur dose quotidienne d’émotions fortes.

Les êtres humains ont toujours eu un attrait – teinté d’appréhension – pour ce qui est interdit, sensationnel ou magique. Ils ont toujours éprouvé une certaine inquiétude face à la nouveauté, l’inconnu, l’étranger. Les cultures à tendance impérialiste jouent avec ces sentiments humains. Elles savent se mettre en valeur, au détriment des autres. A l’extrémité d’une telle logique, ces « autres » sont relégués au rang d'animaux ou de barbares. Il faut donc les conquérir pour les civiliser ou les éliminer. C’est l’histoire du monde telle que la racontent nos manuels scolaires et dans laquelle domine une culture de guerres.

La cruauté supposée de certains peuples

Certaines idées ont la peau dure : les êtres humains sont foncièrement mauvais ; les peuples dits primitifs, essentiellement cruels. Des recherches récentes remettent toutefois en cause la supposée « férocité » de ces derniers. La parution du livre, en 1979, de l’anthropologue américain William Arens, Le Mythe du cannibalisme1, a levé un doute sur l’existence réelle du cannibalisme rituel. L’étude de Napoleon Chagnon, Les Yanomami, le peuple féroce, qui fit sensation lors de sa parution en 1968, est quant à elle critiquée pour son manque d'objectivité. Chagnon serait « obnubilé » par sa volonté de fournir la preuve anthropologique de la cruauté humaine2. Ses travaux constituent pourtant « la pièce anthropologique maîtresse utilisée comme caution scientifique par les adeptes de la croyance en la violence naturelle de l’être humain ».3 Or, aujourd’hui, Davi Kopenawa, chaman des Yanomami, est parfois appelé « le dalaï-lama de la forêt amazonienne », pour son action en faveur de la protection de la nature et du respect des droits des Indiens d’Amazonie...

La dévalorisation est, en fait, un moyen d’avilir l’autre afin de justifier de pratiques inhumaines. Comme le dit Claude Lévi-Strauss : « Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. »4 Si certains sont cannibales, alors on n’aura pas de scrupules à les réduire en esclavage. S’ils ont des comportements condamnables, alors on pourra plus facilement en faire des bêtes de somme... C’est la fonction du bouc émissaire : l’animal sur lequel, le jour du Pardon, le prêtre du Temple de Jérusalem chargeait les péchés d’Israël. Les juifs et les chrétiens du IIe siècle sont aussi accusés de cannibalisme par les Romains. Plus tard, ce sont des chrétiens qui accusent les juifs de cannibalisme et de pratiquer le meurtre rituel d’enfants chrétiens, etc.

Nous croyons facilement que les autres peuvent être déviants, mais avons du mal à croire que certains nous considèrent comme tels. Pourtant, lorsque Tanzaniens ou Mélanésiens ont rencontré pour la première fois des Européens, ils en eurent peur, car ils croyaient qu’ils étaient cannibales5...

Les caractéristiques d'une culture de paix

Les peuples pacifiques sont présents sur les cinq continents, mais ils ont été largement ignorés par des anthropologues avides de sensation. La sociologue américaine Elise Boulding, pionnière des études en matière de culture de paix, définit celle-ci comme une culture « qui promeut la diversité et qui gère avec créativité les conflits et les propres à chaque société, parce qu’aucun être humain n’est semblable à un autre. »6 Elle distingue ainsi conflit et violence, cette dernière étant « la souffrance intentionnelle infligée, pour ses propres fins, à autrui. »7 Il n’y a pas de société sans conflits, mais il peut y en avoir sans violence. La violence ne résout pas les problèmes, elle les envenime.

Ces peuples promeuvent des valeurs permettant de prévenir les conflits : égalité, contrôle de soi, non-violence (considérée comme une force), évitement (une personne, voire la population entière, se déplacera si un conflit risque de dégénérer), négociation (présentation d’excuses, échanges de dons), médiation (lors de celle-ci, la réconciliation est considérée comme plus importante que de savoir qui a raison), éducation ouverte (essentielle dans la transmission).

De nombreuses cultures défendent ces valeurs : Tasaday, des Philippines (ils n’ont pas de mots pour la colère, le meurtre ou la guerre) ; Ifaluk du nord de l’Australie ; !Kung, de Namibie et du Botswana ; Zatopec, du Mexique ; Semai, de Malaisie8... Le sociologue Johan Van der Dennen recense ainsi jusqu’à 520 peuples chez lesquels la guerre est absente ou défensive.

Un exemple significatif est la Ligue des Iroquois qui, pendant plus de trois siècles (de 1450 à 1777), rassemblait cinq, puis six nations d’Indiens d’Amérique du Nord. Cette ligue a permis d’é1iminer la guerre entre ses membres. Les Iroquois ont codifié leurs principes, fondés sur la négociation et la consultation, dans une Grande Loi de paix, ébauche de Constitution pacifique er démocratique. Dans son dialogue avec Elise Boulding, Daisaku Ikeda dit à leur propos : « Les femmes avaient un pouvoir considérable dans la tradition iroquoise. Elles choisissaient les chefs de clans et pouvaient au besoin les révoquer. »9 Ceci explique peut-être cela...

Il écrit plus loin : « En nous consacrant entièrement à la cause de la paix, nous pouvons honorer la mémoire des victimes des guerres passées et édifier un monde dans lequel les peuples de demain connaîtront le bonheur. »10

La paix est source de prospérité. Comme l’a bien montré le scientifique américain Jared Diamond, ce sont les conflits répétés, la perte de partenaires commerciaux ou la dégradation environnementale qui provoquent le déclin, voire la disparition des sociétés.11


A lire dans le numéro de Valeurs humaines n°30, avril 2013.
Valeurs humaines est le mensuel des associations Soka du bouddhisme de Nichiren. › Abonnement / Achat au numéro

Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie.
Claude Lévi-Strauss

Notes

  • 1. Le cannibalisme de « survie » ou du fait de malades mentaux n’est pas mis en doute. Voir à ce propos, Jacques Lecomte, La Bonté humaine, Odile Jacob, 2012, p. 208.
  • 2. Il traduit, par exemple, le terme yanomami waiteri par « féroce » alors qu’il signifierait « ne pas se soumettre ».
  • 3. La Bonté humaine, p. 198.
  • 4. Race et histoire (1952), Gallimard, 1987, p. 22.
  • 5. Cf. William Arens, cité par J. Lecomte, p. 214.
  • 6. E. Boulding et D. Ikeda, Into Full Flower, Making Peace Cultures Happen, Dialogue Path Press, p. 95. [Traduit maintenant en français sous le titre Pour l’épanouissement d’une culture de paix.]
  • 7. Cultures of Peace, The Hidden Side of History, Syracuse University Press, 2000, p. 89.
  • 8. La Bonté humaine, p. 216-218.
  • 9. Into Full Flower, p. 53.
  • 10. Ibid., p. 113.
  • 11. Effondrement, Gallimard, 2006.
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