Extraits d'un discours de Daisaku Ikeda prononcé à l’université des Philippines, le 10 avril 1991.


(...) Puisque vous tous ici, étudiants et enseignants, partagez l’idéal de citoyenneté mondiale cher à José Rizal, ce grand héros de votre pays, j’aimerais vous faire part de quelques réflexions inspirées par sa vision du monde.

L'esprit d'équité

J’affectionne depuis longtemps le proverbe : « Il faut contrôler vos affaires et non laisser vos affaires vous contrôler. » Le monde des affaires est, par nature, orienté vers l’efficacité économique et la recherche du profit maximum. Un homme d’affaires, qui travaille uniquement pour la prospérité de son entreprise, ne pensera qu’en termes de pertes et profits. Cette perception étroite des choses a donné lieu parfois à une concurrence si excessive qu’elle a entraîné des conflits militaires. Si le monde des affaires veut contribuer à construire la paix, la logique capitaliste doit être tempérée par celle de l’humanité. Comment parvenir à cela ? Il existe, au Japon, un terme, kosei, que l’on pourrait traduire par “esprit d’équité”. Il signifie aussi “égalité”, “impartialité” et “justice”. J’ai appris avec intérêt que le terme katarungan en tagala contient aussi ces deux sens de “justice” et “d’égalité”.

L’esprit d’équité permet de reconnaître la contradiction inhérente à une activité économique qui rend les riches encore plus riches, et les pauvres toujours plus pauvres, aussi bien au niveau individuel que national. L’esprit d’équité prend en compte la menace insidieuse que constitue une croissance économique s’exerçant aux dépens de l’environnement planétaire et de l’équilibre délicat de l’écosystème. “L’exportation” de produits polluants dans des pays dont les lois sont moins contraignantes, par exemple, est révoltante pour ceux qui placent la justice et l’égalité au premier rang. Les Japonais sont les premiers visés en ce domaine ; à cet égard, ils auraient bien besoin de reconsidérer leurs activités à l’étranger.

L’esprit d’équité ou de justice n’est pas une donnée première de la conscience humaine. Dans un discours prononcé par le docteur Abueva1 à l’université Soka en 1990, il utilisa, pour définir l’esprit traditionnel des Philippines, le terme bayanihan (qui signifie aide réciproque dans les sociétés communautaires). De tels modèles de comportements pour assurer le bien-être de tous sont élaborés et transmis à travers les vicissitudes de l’Histoire. En relevant le défi des difficultés, l’esprit d’équité cesse d’être la morale d’un peuple pour devenir un principe universel, et acquiert la force de l’acier, la chaleur du soleil et l’immensité du ciel. (...)

Un but non atteint

Dans le monde des affaires, un tel esprit universel ne se préoccuperait pas exclusivement du bien de sa propre entreprise ou de son pays. Il envisagerait toujours le plus vaste intérêt, l’intérêt holistique, celui de la planète entière et de toute l’humanité; il inciterait chacun à porter des jugements impartiaux, même si cela devait entraîner des sacrifices personnels. Cette force spirituelle permettrait de voir au-delà de ses seuls gains et profits personnels.

À la fin de son célèbre roman El Filibusterjsmo (Le Rebelle), José Rizal déclare : « Je ne veux pas dire que nous devions acquérir notre liberté à la pointe de l’épée... Mais, je crois bel et bien que nous devons la gagner en la méritant »2 Prisonnier qu’il était de la cruelle disparité entre ses idéaux et la réalité, Rizal n’abandonna pas son rêve lointain du triomphe de la non-violence sur la violence, et de l’esprit sur la force brutale. En ce sens, une victoire de l’esprit serait aussi un triomphe de la logique de l’humanité sur la logique du capital.

Dans le même ordre d’idée, je pense que la révolution de février 1986 a fait faire à votre pays un pas de géant vers la réalisation du rêve de Rizal : votre peuple a renversé, sans avoir recours à la violence, un régime dictatorial établi fermement pendant dix-sept ans, sans jamais avoir recours à la violence. Cette réussite extraordinaire restera définitivement gravée dans les annales de l’histoire mondiale.

Dans son discours inaugural, en prenant ses fonctions de président de l’université des Philippines, le docteur Abueva décrivit cette victoire avec éloquence :

Notre peuple a fait preuve, dans l’action, des plus grandes vertus de notre race: l’amour de la paix et de la liberté, le sens de l’appartenance à la communauté, la solidarité, le respect de la dignité humaine et une nature profondément religieuse et morale.3

Ce triomphe est une percée historique capitale pour le peuple des Philippines. Ayant déjà accompli tout cela, chaque citoyen philippin a désormais une mission précieuse : aller de l’avant, se rapprocher toujours plus des buts que la révolution n’a pu atteindre. En gardant cela à l’esprit, j’aimerais, en conclusion, citer un poème que Rizal écrivit dans sa jeunesse :

Relève ton front radieux
Aujourd’hui, Jeunesse de ma rive natale !
Tes multiples talents se révèlent
Resplendissants et grandioses
Bel espoir de ma Mère Patrie
Élève-toi bien haut, ô génie magnanime,
Et emplis leur esprit de nobles pensées :
De l’honneur le siège glorieux
Et puissent leurs esprits neufs voler et découvrir
Plus rapidement que le vent.
4


Notes

  • 1. Dr José Abueva : président de l'université des Philippines.
  • 2. José Rizal, El Filibusterimo, traduit par Léon Ma Guerrero, Bloomington, Indiana University Press, 1962, p.297.
  • 3. Citation empruntée au discours inaugural du Dr José Abueva, dans le programme officiel, “l'Investiture Dr José V. Abueva en tant que 15e président des Philippines”, Manille, Université des Philippines, 1988, p.14.
  • 4. José Rizal, Rizal's poems, Manille, Université des Philippines, 1988, p.14.

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