Extrait d'un essai de Daisaku Ikeda, issu du recueil Réflexions d'un bouddhiste sur notre époque (Ed. du Rocher, 1994), regroupant une série d'essais parus pour la plupart dans les années 70.
Ici, l'auteur souligne “l'analyse” remarquable que permet la démarche scientifique moderne, tout en la mettant en balance avec la nécessaire “synthèse” philosophique et éthique qui appréhende toutes les formes de vie comme une seule entité.


(...) L’homme et les étoiles, voilà le sujet de contes et d’histoires à l’infini. On se souvient en particulier que les hommes de l’Antiquité voyaient dans ces constellations scintillantes les héros de leur mythologie. Ils s’éveillaient ainsi à leur condition d’habitants d’un vaste univers, et dès lors faisaient des étoiles un moyen pour s’élever au-dessus des vicissitudes sans fin de la vie quotidienne.

Ces innombrables étoiles et planètes sont redevenues aujourd’hui un centre d’intérêt. Mars, dont l’éclat rouge semble d’une intensité presque inquiétante, s’est durant ces derniers mois approché plus près de la terre que lors des quinze dernières années. Afin de tirer parti de cette occasion sans précédent, une minuscule “étoile” conçue par les mains de l’homme a été envoyée pour effectuer un très long voyage dans l’espace et continue toujours à tourner autour de la planète rouge en s’efforçant de la photographier. Lorsque je lève les yeux vers le ciel nocturne, je sais qu’il est impossible de voir le petit satellite, cependant, je suis sûr qu’il est là, voguant autour de Mars et prenant des photos.

Quelqu’un a prétendu que lancer ainsi un satellite dans l’espace et le placer en orbite autour d’une planète située à des millions de kilomètres revient à se placer à un mètre d’un distributeur automatique pour essayer d’introduire une pièce de monnaie dans la fente de l’appareil. Que la science moderne, grâce à toute une accumulation de savoir et à l’incroyable précision de sa puissance d’analyse, ait pu accomplir cette prouesse apparemment impossible est une réalité qui ne peut que nous impressionner.

On peut y voir aussi une note d’ironie. Alors que les ordinateurs, qui ont rendu de telles choses possibles, sont en mesure de mettre une fusée sur orbite avec une précision tout à fait remarquable, ils sont en revanche incapables de prédire où tombera exactement une feuille de papier lancée à environ un mètre du sol. Comme me l’a expliqué un spécialiste en informatique, on a absolument tort de croire que les ordinateurs peuvent fournir des réponses à tous les problèmes qui leur sont posés. Ils ne peuvent en fait apporter de réponses qu’aux problèmes pour lesquels ils ont été programmés. « Ils ne peuvent prédire quand se produira un tremblement de terre ou un glissement de terrain, ni la trajectoire que suivra un typhon, et accèdent encore moins au mécanisme intérieur de l’esprit humain », m’a-t-il confié avec la plus sincère candeur.

Fort de ses connaissances scientifiques, l’homme moderne est parvenu à inventer des pesticides pour protéger les cultures et des engrais chimiques pour améliorer le rendement de la terre. Mais toute cette sagesse et toutes ces connaissances n’ont pas su l’avertir du danger encouru ainsi par la nature à l’équilibre fragile ou des effets ultérieurs de ces produits sur l’environnement.

Même si l’aura de la science moderne, telle une lame bien polie, répand sa lumière sur tous les domaines de la vie, quand nous examinons finalement l’ensemble des réalisations de la science, force est de reconnaître que cette lumière a quelque chose de faux qui n’a rien à voir avec la beauté libre et sans artifice des lumières du monde naturel.

Du point de vue analytique, les fabuleux progrès du monde de la science sont indiscutables. Mais sur le plan de la synthèse — c’est-à-dire dès lors qu’il ne s’agit plus de découper les faits mais de bâtir des théories et principes d’ensemble — quelle est sa contribution ? On voit bien là que les problèmes liés à la synthèse ne sauraient être résolus par la science seule. Tant que nous continuerons à les ignorer purement et simplement, nous ne pourrons jamais espérer un développement fluide et harmonieux de la société humaine.

Je me rappelle d’une remarque pénétrante d’un intellectuel qu’il me paraît opportun de citer ici. « Du point de vue de l’esprit scientifique traditionnel, les résultats acquis dans des domaines tels que la microbiologie représentent un immense progrès, disait-il. Mais du point de vue humain, par rapport à la réalité d’un être vivant qui se sait inévitablement confronté à la mort, je me demande si l’on peut vraiment parler de progrès. »

La microbiologie passe pour l’un des secteurs les plus avancés de la science moderne. Il s’agit d’une discipline qui cherche à analyser l’organisme vivant en s’intéressant aux atomes de base qui le composent, afin de découvrir précisément comment se fait l’assemblage. Ses trouvailles et réalisations méritent toute notre attention et il convient de faire le maximum pour en tirer concrètement le meilleur usage. Mais parallèlement à ce type d’analyse très pointue, il me semble qu’il faut aussi faire apparaître une vision d’ensemble qui permette d’appréhender l’humanité, et même toutes les formes de vie, comme une seule entité. Nous quittons alors l’analyse pour la synthèse.

Les hommes de l’Inde et de la Grèce antiques utilisaient ce type de perspective pour expliquer le monde qui les entourait. Ils affirmaient que le monde était composé de quatre éléments de base, terre, eau, feu et air, et croyaient aussi que l’homme lui-même était composé de ces quatre éléments. Tel était le point de vue essentiel partagé à la fois en Orient et en Occident, à ceci près que les Orientaux dans leur sagesse avaient également perçu un cinquième élément, l’espace ou vide.

Au regard de la science moderne qui a su isoler et identifier plus de cent éléments différents, une telle approche peut sembler désespérément primaire. Mais il convient cependant de remarquer que cette perception présente l’homme comme étant constitué de la même matière essentielle que l’univers et s’efforce de relier ainsi l’existence humaine au vaste univers dans son ensemble, ce qui lui confère sans nul doute une haute dimension philosophique qui n’a rien de primaire. On peut peut-être voir dans le fait qu’Orient et Occident partageaient cette vision un effet de l’influence du mode de pensée oriental sur la culture grecque ; en tout cas on ne peut que s’émerveiller de la large adhésion qu’elle obtint parmi les hommes de l’Antiquité.

Contrairement aux concepts de la science moderne, le concept des cinq éléments, terre, eau, feu, air et espace n’était pas fondé sur des modes de pensée matérialistes. Il dérivait plutôt de la perception du fait que l’homme et l’univers ne constituent qu’une seule entité harmonieuse. Ainsi, la maladie résulte d’un manque d’harmonie entre ces éléments de base tels qu’ils figurent en l’homme, tandis que la mort représente un retour de ces éléments à leur source originelle dans l’univers.

Il n’est en rien exagéré d’affirmer que le corps humain contient en lui tous les rythmes de l’univers. Et de fait, la science médicale a bien montré que durant la journée le coeur bat plus vite, la pression artérielle augmente, et les cellules du cerveau se font bien plus actives. Avec la nuit, le processus s’inverse, la pression artérielle baisse et le rythme cardiaque diminue. Les rythmes de l’univers et ceux du corps humain s’harmonisent donc de manière tout à fait mystérieuse. Autant que nous sachions, les éléments du corps, terre, eau, feu, air et espace peuvent répondre à leurs contreparties dans l’univers et dévelop- per des mouvements subtils en harmonie les uns avec les autres. En tout cas, mon maître me disait souvent qu’il fallait être au lit avant minuit et j’ai toujours trouvé ce conseil sage.

Il y a dans chaque organisme vivant comme une sorte d’horloge qui le maintient en rythme avec les mouvements de la terre, du soleil, de la lune, et des autres composants de l’univers. L’étude de ce principe, appelé biorythme dans la terminologie moderne, représente un nouveau champ de recherche qui tend à voir l’homme comme une entité harmonieuse aux rythmes liés à ceux de l’univers.

Dans l’Antiquité, les Occidentaux prétendaient voir les divinités et héros de leur mythologie dans les constellations. Je suis tenté de penser qu’il ne cherchait pas simplement par là à conférer du mystère aux étoiles. Cela montrait plutôt leur désir de mieux comprendre leurs dieux et de découvrir quelles influences ils exerçaient dans le monde des affaires humaines. Dans la pensée traditionnelle chinoise, l’élément mythologique était largement présent et l’on considérait que les mouvements mêmes des planètes gouvernaient la destinée humaine.

Dans toute son étendue et sa complexité, l’univers vibre et bouge comme une seule et magnifique entité vivante. Et l’homme, qui fait partie intégrante de cet ensemble, représente un modèle en miniature de l’uni- vers. Percevoir la vraie nature de l’homme et découvrir comment la vie et la société humaines peuvent parvenir à un état d’harmonie parfaite, voilà l’objectif essentiel vers lequel doit se diriger la sagesse de l’homme, et c’est là le noeud du problème.



(...) parallèlement à ce type d’analyse très pointue, il me semble qu’il faut aussi faire apparaître une vision d’ensemble qui permette d’appréhender l’humanité, et même toutes les formes de vie, comme une seule entité. Nous quittons alors l’analyse pour la synthèse.

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