Par Hiroshi Kanno. Extraits traduits de l'essai The Practice of Bodhisattva Never Disparaging in the Lotus Sutra and its Reception in China and Japan, paru dans Journal of oriental studies, vol. 12, 2002.

Etude présentée lors de la conférence « Le bouddhisme Mahayana et la civilisation moderne », organisée conjointement par l’IOP, l’Académie chinoise des Sciences sociales et l’Institut des religions mondiales, en septembre 2001, à l’Académie chinoise des Sciences sociales, Beijing. Cet événement réunissait sept universitaires chinois et japonais qui ont présenté leurs recherches sur le lien entre le bouddhisme Mahayana et la civilisation moderne.




La notion que le Bouddha Shakyamuni soit doté d’une vie éternelle1, constitue l'un des principes centraux du Sûtra du Lotus, exposé dans le 16e chapitre, « Durée de la vie de l'Ainsi-venu ». Ce chapitre prêche que la perspective plaçant l’atteinte de la bouddhéité de Shakyamuni pour la première fois en cette vie est simplement un moyen provisoire ; en vérité, le Bouddha a atteint l’illumination il y a d'innombrables éons. Ce chapitre poursuit en expliquant que sa vie se prolongera longtemps à l’avenir, durant deux fois le nombre d'années déjà écoulées depuis son illumination. En bref, il révèle que la durée de vie du Bouddha Shakyamuni est, en fait, éternelle.

Puis il annonce que, bien que sa vie soit éternelle, Shakyamuni va donner l’illusion d’entrer dans le nirvana final. C’est un moyen opportun pour encourager les êtres à rechercher le Bouddha, si difficile à rencontrer, et à poursuivre ainsi avec diligence la Voie du bouddha. Ce chapitre expose d'ailleurs la possibilité pour les personnes dotées d’une foi profonde d'obtenir la vision du bouddha, de sorte que le Bouddha Shakyamuni leur apparaisse, alors même qu’il paraissait être entré au nirvana.

Au moment historique où le Sûtra du Lotus a été établi, l'entrée au nirvana du Bouddha, à l’âge de quatre-vingts ans, devait être un fait historique accepté par tous. Cela rendait d’autant plus difficile d'accepter que sa vie fut éternelle. Par conséquent, le chapitre « Durée de la vie » est suivi de plusieurs chapitres qui exposent les vastes mérites et rétributions revenant à ceux qui peuvent entendre et accepter ce principe difficile. Par exemple, dans le 17e chapitre, intitulé « Distinctions des bienfaits », douze sortes de bienfaits sont décrits. Le 18e chapitre, « Les bienfaits de la joie ressentie », promet de grands bienfaits aux personnes qui se réjouissent d’entendre le Sûtra du Lotus, dans la période suivant la disparition du Bouddha. Le 19e chapitre, « Les bienfaits du maître de la Loi », prêche que les personnes qui acceptent et croient ce Sûtra, qui le lisent, le récitent, l’expliquent, le prêchent et le transcrivent, obtiendront une purification des six sens. Le 20e chapitre, « Le bodhisattva Jamais-méprisant », vient immédiatement après ces trois chapitres. Le récit de la vie et des actes passés de ce bodhisattva offre l'exemple concret d'une personne qui a obtenu la purification des six sens par sa foi dans le Sûtra du Lotus.

Le nom du bodhisattva Jamais-méprisant (jap. Fukyo, ch. Chang bu qing) a le sens de « ne jamais ridiculiser ou dénigrer une autre personne ». Le nom lui-même comporte un lien étroit avec les mots que ce bodhisattva adresse aux personnes qu’il rencontre : « Je vous respecte profondément. Jamais je n’aurai l’audace de vous mépriser ou d’être arrogant à votre égard, car vous pratiquerez tous un jour la voie du bodhisattva et atteindrez immanquablement l’état de bouddha. » (SdL-XX, 266-267) Fait intéressant, le nom de ce bodhisattva dans le texte sanskrit du Sûtra du Lotus est Sadâparibhûta, qui signifie littéralement « toujours méprisé ». Ainsi, Zhu Fahu (Dharmaraksa) a traduit le titre de ce chapitre par « Toujours-méprisé » (Chang bei qing man pin), conformément au sens littéral en sanskrit. Cette traduction est également fidèle au récit, dans lequel le bodhisattva est traité avec mépris par ceux qui le rencontrent. Kumarajiva, quant à lui, traduit Sadâparibhûta par « Jamais-méprisant », en se fondant sur la formule de ce personnage : « Je vous respecte profondément. Jamais je n’aurai l’audace de vous mépriser. » Dans la mesure où tant le texte sanskrit que sa traduction chinoise mettent en avant cette formule comme explication directe du nom de ce bodhisattva, « Jamais-méprisant » semble plus approprié que « Toujours-méprisé ». Peut-être ceci exprime le fait que les efforts pour faire preuve de respect à l’égard de tous sont systématiquement accueillis avec cynisme et mépris de la part de ses contemporains – une expérience bien trop répandue dans la société. (...)

Si l’on s’en tient au récit, la pratique de ce bodhisattva, consistant à s’incliner devant les autres [et à faire la prophétie de leur illumination], n'a pas de lien direct avec le Sûtra du Lotus. En effet, le bodhisattva Jamais-méprisant n’entend le Sûtra du Lotus pour la première fois que lorsqu’il est sur le point de mourir.

Cependant, le principe du Véhicule unique du Bouddha, à savoir que tous les êtres vivants peuvent également atteindre la bouddhéité, est l'idée centrale du Sûtra du Lotus. En nous replaçant dans le contexte où le Sûtra du Lotus a été établi, ne peut-on pas imaginer que la pratique des premiers disciples du Sûtra du Lotus ait été semblable aux prophéties du bodhisattva Jamais-méprisant ? Et, sûrement, les réponses qu’ils ont du recevoir de leurs contemporains furent semblables à celles décrites dans le chapitre sur le bodhisattva Jamais-méprisant.

Le moine japonais Nichiren (1222-1282) et ses disciples, à sa suite, ont considéré que la proclamation en vingt-quatre caractères du bodhisattva Jamais-méprisant était totalement équivalente aux cinq caractères du titre du Sûtra. Autrement dit, les mots de ce bodhisattva ont été perçus comme l’expression de l’essence-même du Sûtra. Cette évolution découle de l'idée que les actions de ce bodhisattva équivalent à la foi et à la pratique du Sûtra du Lotus.2

Dans cette perspective, la pratique du bodhisattva Jamais-méprisant devient l’expression vivante et poignante du principe du Véhicule unique – si central au Sûtra du Lotus – à savoir, l'idée que tous les êtres sensibles peuvent également atteindre la bouddhéité.

La réception de la pratique du bodhisattva Jamais-méprisant en Chine

Parmi les divers commentaires chinois sur le Sûtra du Lotus, nous ne trouvons pas d’explications d'importance concernant la pratique du bodhisattva Jamais-méprisant – consistant à s’incliner devant toute personne rencontrée – ni dans le Miafa lianhua jing shu de Daosheng, ni dans le Fahua Yiji de Fayun.

Toutefois, dans les commentaires sur le Sûtra du Lotus de Zhiyi (538-598) et de Jizang (549-623), on trouve des explications établissant le lien entre cette pratique et la notion de nature de bouddha inhérente. Le commentaire sur le Sûtra du Lotus composé par Jingying Huiyuan (523 à 592) n’est pas parvenu jusqu’à nous, étant quasiment contemporain de Zhiyi et de Jizang, son explication devait être similaire aux leurs. En dehors de ces trois maîtres, il nous est possible de connaître les interprétations de Huisi (515-577) et celles du maître de l’Ecole des trois stades3, Xinxing (540-594). L'interprétation de Xinxing est d'un intérêt particulier.

Huisi et la pratique du bodhisattva Jamais-méprisant

Huisi était le professeur de Zhiyi. Ayant subi des persécutions à plusieurs reprises, comprenant des tentatives pour l’empoisonner ou pour le faire mourir de faim, il a développé une compréhension unique de la notion mahayaniste de « patience face à l'inimitié » (jap. renru, sk. ksanti). Cette patience consiste à s’engager obstinément et totalement dans la lutte, lorsqu'on se trouve confronté à des personnes mauvaises. C’est une vision tout à fait proactive de la patience. Ce principe est énoncé dans le Fahua jing anlexing yi. Cependant, dans les premières lignes de cette œuvre, nous pouvons lire ceci :

« Le Sûtra du Lotus est l'enseignement [lit., Porte du Dharma] de l'illumination soudaine du Grand Véhicule, par lequel on s’éveille entièrement de soi-même, sans recourir à un maître, et on atteint rapidement la bouddhéité. C’est un enseignement qui, pour toute personne, en tous lieux, est difficile à croire. Les bodhisattvas novices qui, dans leur quête du Grand Véhicule, souhaitent surpasser tous les autres bodhisattvas et atteindre rapidement l'illumination du Bouddha doivent garder les préceptes, endurer [l’inimitié] avec patience, persévérer vigoureusement, rechercher assidûment à développer la concentration dhyâna, et focaliser tous leurs efforts sur la pratique du samadhi du lotus. En considérant chaque être comme s’il était un bouddha, vous devriez joindre vos paumes et le vénérer comme si vous offriez votre révérence au Seigneur [Bouddha lui-même]. Vous devriez également considérer chaque être comme un grand bodhisattva et bon ami spirituel. (...) [La pratique de] considérer chaque être comme s’il était un bouddha est celle exposée dans le chapitre sur le bodhisattva Jamais-méprisant. » (T 46. 697c-698a)

Selon cette citation, l'idée de considérer chaque être comme s’il était un bouddha est explicitement fondée sur la pratique du bodhisattva Jamais-méprisant. Cette interprétation particulière de Huisi est en total accord avec son explication des deux mots « Loi merveilleuse » (ou « Dharma merveilleux », ch. miaofa) plus loin dans ce texte. Huisi comprend « Loi » (fa) dans « Loi merveilleuse » comme signifiant « les êtres vivants », et « merveilleuse » (miao) comme signifiant « la purification des six facultés sensorielles ». En considérant les êtres comme intrinsèquement doués des six sens purifiés et comme des bouddhas, Huisi met en lumière une signification concrète du terme « Loi merveilleuse ».4

La vénération universelle dans l’Ecole des trois stades

Le maître chinois Xinxing a établi l'Ecole des trois stades dans un effort pour développer une nouvelle forme de bouddhisme adaptée à l'époque de la Fin de la Loi (mofa). Ce faisant, il a incorporé le comportement du bodhisattva Jamais-méprisant dans sa propre foi et pratique personnelles. L’Ecole des trois stades prône un ensemble intégré de pratiques impliquant « la vénération universelle des autres » (pujing) et « la reconnaissance ou l'admission de son propre mal » (ren'e). Contrastant avec la pratique de « reconnaître le mal », qui consiste à critiquer sévèrement le mal existant en soi-même, la « vénération universelle » implique d’exprimer du respect pour le bien chez toutes les personnes autres que soi-même. Comme nous le montrerons plus tard, Jingying Huiyuan, Zhiyi, et Jizang ont mentionné la pratique du bodhisattva Jamais-méprisant comme preuve que la notion de nature de bouddha inhérente, similaire à celle trouvée dans le Sûtra du Nirvana, existe également dans le Sûtra du Lotus. En revanche, le fait que Xinxing incorpore cette pratique de « vénération universelle » dans sa propre vie religieuse est très intéressant. Sur ce point, Nishimoto Teruma observe :

« Ce qui ressort de l’Ecole des trois stades en tant que forme de pratique caractéristique est le culte systématique des êtres humains, entrepris en imitation de la pratique religieuse du bodhisattva Jamais-méprisant, telle qu’elle est décrite dans le Sûtra du Lotus. Ceci est une expression concrète de la notion de vénération universelle, pilier de l’Ecole des trois stades. Comme un fil unique reliant l’ensemble des bouddhistes de la période Dynasties du Nord et du Sud, le Sûtra du Lotus a joui d’un statut très élevé. Mais la propagation de l'idée que les gens devraient concrètement pratiquer ce genre de vénération universelle, illustrée par le bodhisattva Jamais-méprisant, n’a lieu qu’avec Xinxing. Cette approche est la signature distinctive de l’Ecole des trois stades et présente un caractère très significatif, en ce sens qu’elle découle directement de la pensée de base de sa doctrine. »5

L'interprétation de Jingying Huiyuan

La version mahayaniste du Sûtra du Nirvana a pris forme en Inde, vers le IVe siècle. Son principe central est que le Corps du Dharma est l'essence originelle, ou fondamentale, du Bouddha et qu’il est éternel et constamment présent. De plus, il postule que la nature de bouddha est présente chez tous les êtres vivants. En bref, il expose la présence éternelle du Corps du Dharma et l'universalité de la nature de bouddha.

Une chose que nous remarquons immédiatement : ce concept ressemble beaucoup aux principes fondamentaux du Sûtra du Lotus que sont le Véhicule unique du Bouddha et l’illumination du Bouddha dans un passé infiniment lointain. (…) Le principe du Véhicule unique dans le Sûtra du Lotus étaye la possibilité de l'atteinte de la bouddhéité pour tous les êtres, en prêchant l'existence d'un lien spirituel persistant de tout temps entre le Bouddha Shakyamuni et les êtres vivants. Le concept de l'illumination du Bouddha dans le passé lointain a la particularité de porter l'attention sur le Bouddha historique Shakyamuni, qui est identifié au bouddha éternel. Cependant, avec l’établissement ultérieur du Sûtra du Nirvana, ces principes ont fait l’objet d’une théorisation poussée, jusqu'à ne devenir guère plus que des formulations abstraites.

Dans le système de classification doctrinale des Cinq périodes, qui était populaire en Chine pendant la période des dynasties du Nord et du Sud, on considérait généralement que ces deux concepts, exposés dans le Sûtra du Nirvana, n’existaient pas dans le Sûtra du Lotus. L’enseignement du Sûtra du Lotus était donc jugé comme tout à fait inférieur à celui du Sûtra du Nirvana. Jingying Huiyuan, Zhiyi et Jizang, aussi connus comme les trois Grands maîtres de la dynastie des Sui, ont sévèrement critiqué ce système de classification et ont recherché, par différentes stratégies, à prouver que la nature de bouddha avait également été exposée dans le Sûtra du Lotus.6 La traduction de Kumarajiva du Sûtra du Lotus comprend quelque 70000 caractères chinois, mais il s’avère que le terme « nature de bouddha » ne s'y trouve pas. Ainsi, ces Grands maîtres furent contraints d’arguer que la notion de nature de bouddha y est cependant exposée, dans son principe.

Présentons brièvement l’argument de Jingying Huiyuan. On rapporte que Huiyuan a produit un commentaire sur le Sûtra du Lotus en sept fascicules. Malheureusement, cette œuvre ne nous est pas parvenue. Néanmoins, une critique de Liu Qiu (438-495) du système de classification des Cinq périodes apparaît dans le Dasheng yizhang, de Huiyuan. A propos de la question de la nature de bouddha, il y est dit :

« Si vous affirmez que le Sûtra du Lotus est [doctrinalement] moins profond que le Sûtra du Nirvana parce qu’il n’expose pas encore l'idée de la nature de bouddha, alors une telle théorie n’est pas correcte. Il est dit dans le Sûtra du Nirvana, en effet, que « la nature de bouddha est, en soi, le Véhicule unique. » Comment pouvons-nous dire alors que le Véhicule unique dans le Sûtra du Lotus n’est pas équivalent à la nature de bouddha ? De plus, lorsque, dans le Sûtra du Lotus, le bodhisattva Jamais-méprisant rencontre des membres de la Quadruple assemblée7, il leur annonce à haute voix : “Vous pourrez devenir bouddha, je ne vous dénigrerai jamais”, c’est parce qu’il sait que les êtres possèdent la nature de bouddha. Cela démontre que l’équivalence [du Véhicule unique] avec la nature de bouddha inhérente se trouve [dans le texte]. » (T 44. 466a-b) (…)

Conclusion

Le Sûtra du Lotus traduit par Kumarajiva comprend quelque 70000 caractères chinois. Si l’on nous demandait d’en exprimer succinctement le principe central, que répondrions-nous ?

Pour ma part, je répondrais sans aucun doute en rappelant l’histoire du bodhisattva Jamais-méprisant. Vénérer les autres comme des futurs bouddhas peut paraître simpliste, mais en tant que pensée et que pratique, cela peut constituer le fondement de nos efforts pour résoudre les problèmes de notre époque, et le fondement d’un comportement humain idéal. Et c’est le noyau central du Sûtra du Lotus. (…)

Un tel enseignement n'a jamais été exposé dans le bouddhisme Hinayana. Dans les écrits sacrés du Mahayana, seuls les arhats du Hinayana sont exclus de la possibilité d'atteindre la bouddhéité. Mais le Sûtra du Lotus enseigne que tous les êtres sans exception peuvent y parvenir, y compris les arhats. Pourquoi tous les êtres sont-ils en mesure d'atteindre la bouddhéité ? Parce que le Bouddha Shakyamuni, doté d’une vie éternelle, continue d'enseigner et de délivrer les êtres sensibles que nous sommes. Selon ce sûtra, le Bouddha Shakyamuni, décédé à quatre-vingts ans, est une manifestation provisoire et son essence originelle est éternellement présente. Ce principe est exposé dans le chapitre « Durée de la vie de l'Ainsi-venu ». A travers la pratique de la Voie du bodhisattva, et soutenus par le grand pouvoir du Bouddha Shakyamuni, il devient possible pour les gens d'atteindre la bouddhéité.

Ainsi, la Voie du bodhisattva revient à développer une forte croyance dans la réalisation universelle de la bouddhéité et de chercher à vivre de façon à transmettre ce message aux autres, tout en étant soutenu par la vie éternelle du Bouddha et son vaste pouvoir. En d'autres termes, tout en croyant fermement dans la capacité des êtres humains à atteindre la bouddhéité, on adopte un mode de vie fondé sur une profonde révérence pour eux. Le bodhisattva Jamais-méprisant illustre ce mode de vie ; et, à l'époque qui suit la disparition du Bouddha Shakyamuni, ce sont les bodhisattvas sortis de la terre qui l’incarnent.

Ce mode de vie peut paraître un peu simpliste, mais les vérités religieuses sont souvent simples et claires. Et, comme le dit le dicton, « plus facile à dire qu'à faire » : actualiser dans nos vies quotidiennes la pratique et la philosophie consistant à accorder le plus grand respect aux êtres humains – sans parler d’étendre ce respect aux quatre coins du monde – est une tâche extrêmement difficile. Et pourtant, l’exemple du bodhisattva Jamais-méprisant, avec son respect pour tous les êtres humains, n’est-il pas précisément la fondation que nous devrions établir pour résoudre les multiples problèmes de notre époque ?




Hiroshi Kanno. Spécialiste du bouddhisme, chercheur à l'IOP de Tokyo et professeur à l'Université Soka, ses récents travaux comprennent notamment plusieurs publications sur le bouddhisme en Chine : Study on Chinese Buddhist Thought of the North and South Dynasties and Sui Period, 2012, ou encore Reading the Fahua xuanyi: Introduction to the Tiantai Thought, 2013.

Notes

  • 1. Le fait de considérer les deux concepts que sont le Véhicule unique du Bouddha dans le chapitre « Moyens opportuns » et l’éternité de la vie du Bouddha dans le chapitre « Durée de la vie de l’Ainsi-venu » comme les idées-forces du Sûtra du Lotus est compatible avec les schémas traditionnels d'interprétation émanant de Chine. Dans les termes techniques de l'exégèse chinoise, remontant à l’époque du Fahua Yiji de Fayun, le premier a été dénommé « élaborer les trois afin de révéler l'un » et le second, « élaborer le proche pour révéler le lointain ». Je propose d'ajouter à ces deux concepts celui des bodhisattvas et de la terre. Mes raisons sont de deux ordres. Dans la tradition du Sûtra du Lotus, la désignation des bodhisattvas sortis de la terre comme dépositaires du Sûtra du Lotus au cours de la période suivant la disparition du Bouddha Shakyamuni est un point extrêmement important. En outre, dans une perspective historique, la figure des bodhisattvas sortis de la terre est significative car c’est à elle que s’est identifiée ceux qui propagèrent le Sûtra du Lotus à l’époque où il a été constitué.
    Voir : Hiroshi Kanno, Hokekyô no shutsugen (L’emergence du Sûtra du Lotus), Daizo shuppan, 1997, p. 63-67 ; voir aussi Hiroshi Kanno, Fahuajing de zhongxin sixiang, Shijie zongjiao yanjiu, 65. 3 (septembre 1996), p. 68-73.
  • 2. On lit dans le Sushun tenno gosho : « Au cœur des enseignements dispensés par le Bouddha de son vivant, se trouve le Sûtra du Lotus et le cœur de la pratique du Sûtra du Lotus réside dans le chapitre “[Le bodhisattva] Jamais-méprisant”. Que signifie le profond respect du bodhisattva Jamais-Méprisant pour les gens ? Le but de l’apparition en ce monde du bouddha Shakyamuni, seigneur des enseignements, réside dans son comportement en tant qu’être humain. » (Ecrits, 859) Et dans le Kyô Gyô Shô gosho : « L’époque du bodhisattva Jamais-méprisant était celle de la Loi formelle, alors que nous vivons à l’époque mauvaise et impure des Derniers Jours de la Loi. Le bodhisattva Jamais-méprisant était un pratiquant à l’étape de shozuiki, alors que moi, Nichiren, je suis un simple mortel à l’étape de myoji-soku [qui sont toutes deux les premières étapes de la pratique]. Il plantait les graines de la bouddhéité avec un enseignement en vingt-quatre caractères, alors que je plante la graine avec un enseignement de cinq caractères seulement. L’époque est différente mais le principe qui permet de parvenir à l’éveil est exactement le même. » (L&T-IV, 127)
    Miyazaki Kenji (1896-1933), qui a été influencé par la pensée de Nichiren, composé le célèbre poème Ame ni mo makezu, qui est bien connu pour s’être fondé sur l'idée de la pratique du bodhisattva Jamais-méprisant. La valeur littéraire de ce poème a été beaucoup débattue dans les cercles littéraires après sa mort. Mais il est fort probable que ce genre de débat eût semblé vain à ses yeux. La raison en est que ce poème n’était pas simplement une œuvre littéraire, mais la formulation d’un vœu pour Kenji. Ce sont des mots exprimant son désir personnel de mener sa vie à l’image du bodhisattva Jamais-méprisant.
  • 3. Ecole des trois stades (ch. Sanjie jiao) : mouvement bouddhiste des dynasties Sui et Tang (fin VIe siècle - fin IXe siècle) initié par Xinxing (540-594). Malgré un certain succès, considéré comme excentrique et souvent hostile au gouvernement ou aux autres courants bouddhistes, cette école fit l’objet de d’interdiction et finit par disparaître avec la dynastie Tang. (NdT)
  • 4. On peut aussi comparer les passages suivants du Fahuajing anlexingyi : « Elle est “merveilleuse” parce que les êtres vivants sont merveilleux ; “Loi” est précisément le Dharma [qui est l'existence des] êtres vivants. » (T 46. 698b) « Les êtres vivants sont merveilleux parce que les [nobles] attributs des six facultés sensorielles qui se trouvent sur le corps de chaque personne sont eux-mêmes merveilleux, et parce que les six seigneurs des sens sont par nature parfaitement pur. » (T 46. 698c) « Les êtres vivants et l'Ainsi-venu partagent ensemble un seule et même Corps du Dharma. Pur, merveilleux et sans pareil, il est appelé le Sûtra de la fleur de Lotus du Dharma merveilleux. » (T 46. 700a)
  • 5. Nishimoto Teruma, Sangaikyô no kenkyû, Shunjûsha, 1998, p. 47-48. Comme matériau de référence sur ce point, voir le Duigen qixing fa où il est dit : « En ce qui concerne le Dharma de l’unique personne et de l’unique pratique : la personne unique se réfère à l'idée que soi-même n’est rien d’autre qu’une mauvaise personne. La pratique unique renvoie à l'idée, comme enseigné dans le Sûtra du Lotus, que le bodhisattva Jamais-méprisant s’est engagé exclusivement dans une seule pratique. Pour les personnes autres que lui-même il n’avait que de la révérence, les considérant comme le Tathagatagarbha [« “matrice” ou “embryon” de bouddha » (NdT)], la nature de Bouddha, ou de futurs bouddhas, ou des bouddhas vivants. Ainsi, cela est appelé la pratique unique. » Voir Dunhuang Baozang 22. 237c ; Nishimoto, op. cit., p. 326.
  • 6. Voir le chapitre 5, Busshô, Busshin jôjû no mondai to Chûgoku Hokkeshisô dans : Kanno Hiroshi, Hokekyô no shutsugen, Daizô shuppan, 1997.
  • 7. Quadruple assemblée : communauté des disciples du Bouddha, moines, nonnes, hommes et femmes laïcs. (NdT)
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