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Qu'est-ce qu'un “citoyen du monde” ? L'origine de cette expression remonte à la Grèce antique, où Diogène l'aurait employé pour la première fois…

Lorsqu'un Athénien lui demanda quelle était sa patrie, il répondit : « Je suis un citoyen du monde ! », marquant ainsi son rejet des règles de la cité et son souci de vivre selon un principe supérieur de vertu universelle.

La notion, depuis, a évolué, faisant son chemin dans l'histoire de la philosophie à travers le stoïcisme, l'humanisme de la Renaissance et Kant, notablement. Aujourd'hui, la “citoyenneté mondiale” – ou “cosmopolitisme”, du grec cosmos, monde, et politês, citoyen – désigne la conscience de l'appartenance et de la responsabilité vis-à-vis de la grande famille humaine planétaire. Elle se traduit par la préoccupation sincère pour la paix et la prospérité du monde dans son ensemble.

La mondialisation des consciences

Il est significatif que cette notion soit réapparue avec force vers le milieu du XXe siècle, en une ère de mondialisation grandissante. On peut y voir l’émergence d’une nouvelle conscience sociale des individus, s’étendant au-delà des frontières des nations.

En effet, l’accroissement des flux migratoires et le métissage des populations d’une part, et le phénomène de la mondialisation (de l’économie, de la culture et de l’information, de la technologie… mais également des problématiques autrefois confinées aux états) d’autre part, ont poussé à redéfinir les notions d’identité et de citoyenneté en des termes plus universels.

Le monde contemporain est confronté à toute une liste bien connue de problèmes globaux, tels que la dégradation de l’environnement, la surpopulation, les conflits et les tensions internationales, les crises économiques, etc. Toutes ces problématiques révèlent de façon flagrante l’étroite interdépendance des nations entre elles. La compétition doit aujourd’hui faire place à la coopération, car il est clair qu’aucun de ces problèmes ne pourra être résolu à l’intérieur du cadre limité d’un seul état. D’où l’apparition et le rôle grandissant d’instances telles que les Nations Unies, l’OMS, l’OMC, la Cour internationale de justice, le FMI, la FAO, etc. censées réguler et coordonner au niveau international les décisions et les actions des états, dans différents domaines.

Mais le rôle de ces institutions, aussi important soit-il, ne suffit pas. Il doit être sous-tendu, au sein de la société civile, par une prise de conscience et une implication des individus eux-mêmes. En d’autres termes, puisque les problématiques se posent aujourd’hui à l'échelle mondiale, les individus doivent développer une conscience mondiale, elle aussi.

Un idéal humaniste, transcendant les différences

Mais comment et par où commencer ? La philosophie bouddhiste peut apporter un éclairage judicieux à cet égard, à travers l’établissement d’une échelle de valeurs qui donne à l’être humain la place centrale. Ainsi, selon Daisaku Ikeda, « la racine de tous les problèmes [globaux] réside dans notre échec collectif à faire de l’être humain et de son bonheur un point de mire et un objectif constant, dans tous les domaines. L’être humain est le centre vers lequel nous devons revenir et duquel nous devons partir. Ce qui est requis est une transformation de l’être humain – une révolution humaine. »1

Ce principe de “révolution humaine”, formulé par le deuxième président du mouvement Soka, Josei Toda, résume à lui seul l’ensemble de la démarche bouddhiste, et s’accorde en tous points avec l’idéal de la citoyenneté mondiale. En déclarant : « Je veux éradiquer la misère de la face du monde », Josei Toda exprima sa profonde détermination à faire du bonheur du peuple son objectif premier. Il œuvra de toutes ses forces à redonner aux gens la maîtrise de leur destinée à travers la pratique du bouddhisme de Nichiren. Et il chercha par tous les moyens à éveiller leur conscience sociale afin qu’ils ne tombent jamais plus sous l’influence des idéologies autoritaristes, qui avaient mené à la tragédie de la guerre.

Josei Toda observait tous les phénomènes du point de vue des personnes ordinaires, avec les “yeux de la vie”, pourrait-on dire. Il affirmait que les membres du mouvement Soka et, en fait, tous les êtres vivants, sont des bodhisattvas sortis de la terre. Ces bodhisattvas sont les protagonistes principaux du Sûtra du Lotus, des êtres d’une grande dignité qui jaillissent joyeusement par myriade de la grande terre de la vie, avec chacun un rôle important et unique à jouer sur la scène du monde. Des “citoyens du monde” avant l’heure, en quelques sortes !

A travers cette image, le Sûtra du Lotus révèle et honore le fondement de la vie commun à tous les êtres vivants, dont la reconnaissance permet de respecter profondément chaque personne, au-delà de toute distinction de nationalité, sexe, statut social, culture, etc.

Cet esprit est aujourd’hui au cœur du mouvement de la Soka Gakkai internationale, dont la charte déclare :

La SGI, fondée sur l'idéal de citoyen du monde, s'engage à veiller au respect des droits humains fondamentaux et à ne pas créer de discrimination entre les êtres humains, quelle que soit leur origine.
Charte de la SGI, article 2

“Penser globalement, agir localement”

De même, en contraste avec l'idéologie ultranationaliste du Japon de son époque, Tsunesaburo Makiguchi, le fondateur du mouvement Soka, a défendu tout au long de sa vie l’idée que nous sommes citoyens à la fois de notre quartier, de notre pays, et du monde. Loin de rejeter les identités locales ou nationales, il incitait au contraire ses contemporains à renforcer et à agrandir l’étendue de leur sens de la loyauté, pour englober le monde entier à partir d’un fort ancrage dans leur communauté locale.

Ainsi, l'approche de la géographie qu'il a développée peut être considérée comme une tentative de réconcilier ces différentes échelles, en mettant l’accent sur l’importance de la communauté locale. Pour lui, cet environnement immédiat est non seulement le lieu des activités quotidiennes, mais également le point d'où l'on peut saisir et influer sur le monde dans son ensemble. La quête de Tsunesaburo Makiguchi pour cultiver une conscience mondiale par le prisme de l’action locale a trouvé sa plus complète expression dans son ouvrage, La géographie de la vie humaine, qu’il publia en 1903. Il y écrit : « Les conditions des vastes étendues du ciel et de la terre se révèlent dans le plus petit lopin de terre. Ainsi, il est possible de saisir dans ses grandes lignes le phénomène vaste et complexe de la géographie des nations du monde, à travers des exemples trouvés dans un petit village isolé. »2

Cette vision fait directement écho, à plusieurs décennies d’intervalle, au mot d’ordre “Penser globalement, agir localement” lancé par René Dubos pour caractériser l’approche des citoyens du monde, qui s'engagent courageusement pour amener un changement positif dans leur quartier et leur environnement immédiat. Cette action altruiste n'est pas sans rappeler la voie du bodhisattva, prônée et mise en application par de nombreux pratiquants du mouvement Soka autour du globe.

Comme le résume Daisaku Ikeda : « Au lieu de rester prisonniers du cadre étroit des groupes nationaux ou ethniques, nous devons élargir notre champ de vision au monde entier et à toute l'humanité. C'est cela penser globalement. En même temps, il nous faut demeurer fermement ancrés dans le lieu où nous vivons et poursuivre une action méthodique visant à améliorer la société. Grâce à cette démarche, et sans tomber dans l'autosatisfaction bornée, les mouvements [citoyens] sont capables de générer une force motrice de changement. »3



Notes

  • 1. Thoughts on Education for Global Citizenship, discours prononcé au Teachers College, Columbia University, le 13 juin 1996. Traduction libre.
  • 2. Daisan Bunmeisha (Oeuvres complètes de T. Makiguchi), vol. 1, p.23. Traduction libre.
  • 3. H. Henderson et D. Ikeda, Pour une citoyenneté planétaire, L'Harmattan, 2005, p.82.

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