Résumé de la conférence de Yoichi Kawada, directeur de l’Institut de philosophie orientale (IOP), Tokyo, les 29 et 30 avril 2002, au centre bouddhique Soka de Paris-Opéra.

De retour d'Allemagne où il participait à un colloque interreligieux, M. Kawada est venu en France donner cette conférence. Il y expliquait en quoi le bouddhisme peut servir de lien entre les religions monothéistes : la non-violence qui en est l’expression concrète et qui est la préoccupation majeure du XXIe siècle résulte de la transformation des trois poisons en énergie positive, grâce à l’état de bouddha qui siège dans la neuvième conscience.




Ce dialogue entre les religions a commencé entre la SGI et l’Académie européenne de la science et de l’art, fondée en 1990 par M. Unger - un chirurgien cardiologue pour qui le dialogue entre les religions est devenu indispensable pour réaliser la paix mondiale. Une rencontre entre le bouddhisme, le christianisme, l’islam et le judaïsme, a eu lieu à Vienne, le 15 septembre de l’année dernière sur le thème “l’éthique de la vie”. Lors de la cérémonie d’ouverture, M. Unger a proposé aux représentants de chaque religion, suite aux événements du 11 septembre 2001, d’approfondir la notion de la violence qui réside à l’intérieur de chaque être humain et la façon de la dépasser.

Mon intervention a suscité un vif intérêt et on m’a posé beaucoup de questions lorsque j’ai dit que l’esprit de non-violence de Gandhi rejoint la philosophie du bouddha Shakyamuni, car, comme vous le savez, Shakyamuni a déclaré à son époque que tous les êtres sans exception possèdent la nature de bouddha. C’est le principe de l’égalité totale entre tous les êtres humains.

Shakyamuni a donc été amené à s’opposer très violemment au système de castes, comme Gandhi après lui. Ce principe se trouve dans le Sûtra du Lotus, que Gandhi connaissait, car le père de Lokesh Chandra1, directeur de l’Académie internationale de la culture de l’Inde, lui en avait offert un exemplaire en sanskrit. Il lui avait fait découvrir également Nichiren Daishonin, et Gandhi a récité Nam-myoho-renge-kyo dans son ashram. Lokesh Chandra rappelle dans ses dialogues avec Daisaku Ikeda qu’il n’existait pas de lien direct entre Gandhi et Nichiren Daishonin, mais qu’on peut relever de nombreux points communs entre leur action et leur esprit.

Et aujourd’hui encore, les liens sont étroits entre la Soka Gakkai et les disciples du Mahatma Gandhi : M. Krishna, disciple de Gandhi devenu membre honoraire de la Soka Gakkai-Inde, avait immédiatement retrouvé cette transmission lors de sa rencontre avec Daisaku Ikeda au cours d’un festival culturel de la jeunesse en 1980. Il avait déclaré : “J’ai pris le Mahatma Gandhi comme maître, mais Gandhi a été assassiné lorsque j’avais 4 ans. Cette fois-ci en venant au Japon, j’ai pu enfin rencontrer un maître qui vit dans ce monde, M. Daisaku Ikeda”. Les “gandhistes” récitent trois fois Nam-myoho-renge-kyo avant la lecture de leurs textes sacrés.

Pourquoi les bouddhistes ont-ils réussi à créer l’histoire de la non-violence depuis 2500 ans ? Parce que depuis Shakyamuni, ils ont le moyen de transformer les énergies négatives en énergies constructives au niveau individuel et collectif.

Shakyamuni, pour atteindre l’éveil, a commencé par des austérités qui étaient des pratiques violentes et dangereuses, comme le jeûne extrême et la rétention du souffle. Ce genre d’entraînement reposait sur le principe de la dualité du corps et de l’esprit et sur la conviction que le corps était la source de toutes les souffrances parce qu’il réclame toujours : le pouvoir, “bien manger”, “bien s’habiller”… C’est la raison pour laquelle on pensait qu’il empêchait la manifestation de la spiritualité.

En affaiblissant la dimension physique, ces rituels avaient pour but que la spiritualité se manifeste clairement. C’est à la fin de ces austérités que Shakyamuni a compris que la véritable sagesse naît lorsque notre corps et notre esprit sont en équilibre, en harmonie.

Après avoir abandonné les austérités, Shakyamuni se nourrit normalement, arriva au pied d’un arbre et entra en méditation : arrivé au niveau de la 8e conscience2, il fut confronté à ses propres “démons”. C’est dans cette conscience, la conscience alaya (le grenier) que les actions et les expériences, bonnes et mauvaises, qui ont eu lieu dans les autres consciences sont accumulées sous forme de karma. Ayant persévéré dans ses combats contre ses “démons”, il réussit finalement à parvenir à la 9e conscience, la conscience amala. Elle se situe dans les profondeurs de la vie, pure et libre de toutes les impuretés créées par les actes. C’est l’état de bouddha. Il a appelé son éveil la Loi du soleil, c’est la Loi fondamentale de l’univers.

Mais, dans un article d’une série intitulée Le monde du Gosho, Daisaku Ikeda a noté que ce n’est pas parce qu’il est parvenu à l’éveil de la Loi fondamentale de l’univers que Shakyamuni est devenu bouddha. Lorsqu’il a regardé les gens autour de lui, il s’est dit qu’ils ne seraient jamais capables de comprendre un tel éveil. Alors Brahma (ou Bonten) est apparu et l’a exhorté en ces termes : “Si vous ne transmettez pas votre éveil, ce monde va se détruire et les gens vont tomber dans les ténèbres et le malheur”. Alors, Shakyamuni a prononcé le vœu de sauver tous les êtres humains et, à ce moment-là, il est devenu un réel bouddha.

Parmi tous ces désirs, ces passions que nous rencontrons tous, le bouddhisme accorde la plus haute importance aux trois grands “poisons”.

Le premier c’est la colère, la haine, la rancune, le ressentiment. Le deuxième c’est l’avidité, autrement dit une insatisfaction permanente; le troisième l’ignorance fondamentale. Leur accumulation dans la 8e conscience les fait exploser sous forme de violence. Pourquoi parler de ça? Parce que cette violence ne reste pas confinée au niveau individuel : au niveau ethnique, elle se transforme en guerre, en violence collective, au niveau religieux elle se transforme en fanatisme.

Le bouddhisme explique que si on arrive à utiliser l’énergie contenue dans les trois poisons pour parvenir à l’éveil, cette énergie se manifestera sous la forme des états de bouddha, bodhisattva, étude et même l’état de tranquillité, donc sous forme de non-violence.

Mais comment transformer notre karma ? Il y a deux aspects pour la transformation du karma : d’abord le renforcement de l’état de bodhisattva et de bouddha et, à la lumière de l’enseignement bouddhique [“choisir de mauvaises conditions pour montrer la grandeur du bouddhisme et sauver les autres”], le fait d’utiliser librement nos dix états3 l’état d’enfer, pour sauver les autres.

Pour le premier aspect, c’est par la répétition de nos actions positives, en récitant Nam-myoho-renge-kyo, en s’engageant dans des activités de la Soka Gakkai et dans la construction de la société que l’on peut renforcer cette énergie constructive.

Pour le second, j’aimerais citer l’expérience d’une femme coréenne décrite dans les dialogues sur La Sagesse du Sûtra du Lotus. Pendant la Seconde Guerre mondiale elle a été déportée au Japon où elle a été confrontée au racisme des Japonais et elle a fini par être victime de l’explosion de la bombe atomique. Avant sa conversion elle n’arrivait pas à trouver de réponse à la raison de ce destin et en souffrait beaucoup. Après sa conversion, lorsqu’elle a étudié cette notion de “choisir de mauvaises conditions pour montrer la grandeur du bouddhisme et sauver les autres”, elle a compris au plus profond de son existence qu’elle s’était chargée délibérément de toutes ces souffrances.

Elle a alors fait des études pour pouvoir déployer des activités humanitaires dans le monde entier, elle a été diplômée à l’université à l’âge de 72 ans, et depuis elle parcourt le monde entier pour transmettre ses expériences en tant que victime du racisme et de l’atrocité des armes nucléaires et elle mène un combat contre toutes les formes de discrimination. Les personnes comme elle sont littéralement les bouddhas de cette époque mauvaise. Nichiren Daishonin, au cœur de l’exil de Sado dans des conditions invivables, a déclaré qu’il éprouvait une joie inexprimable, M. Makiguchi a eu la sérénité d’approfondir la philosophie de Kant en prison pour approfondir sa compréhension du bouddhisme et M. Toda est parvenu à l’éveil en prison.

À travers ces exemples, on s’aperçoit qu’il ne s’agit pas de transformer l’apparence de l’état d’enfer, l’avidité et l’animalité, qui restent des conditions défavorables. On montre l’état de bouddha, qui est vraiment l’état suprême : tout notre vécu, la souffrance, la tristesse, le désespoir se transforment en mission, notre propre mission.

On peut utiliser tout notre vécu, douloureux, destructif, négatif comme quelque chose de réellement précieux. C’est vraiment ça le mécanisme de la transformation de karma, des trois mauvais états en états de bodhisattva et bouddha, et c’est ça finalement la théorie de l’inclusion mutuelle des dix états.




Questions-réponses

• À quel moment sait-on qu’on a transformé son karma ?
Quand vous pratiquez pour guérir, résoudre des problèmes financiers, des problèmes affectifs, des relations humaines dans la société, lorsque votre vœu est exaucé, vous avez fait une transformation de ce karma précis. Par contre, à propos de l’atteinte de la bouddhéité en cette vie, on peut dire qu’elle a lieu si à la fin de votre vie vous pouvez vous dire que votre vie était magnifique. Si on ne peut pas imaginer une autre vie que celle que l’on a vécue, à ce moment-là on a vraiment gagné la victoire finale. Dans le sens authentique, c’est l’état de tranquillité, l’état de sérénité, c’est l’atteinte de la bouddhéité en cette vie. Daisaku Ikeda a dit : “Au bout d’un moment, on arrive à un état où l’on peut jouer librement notre rôle dans la pièce de théâtre de notre vie. Pour jouer magnifiquement ce rôle il y a des obstacles qui apparaissent et qu’il faut surmonter, résoudre, dont il faut se débarrasser. Selon le karma, la particularité de chaque individu, la manière de jouer ce rôle est différente parce que le karma est différent, la personnalité est différente, mais la joie suprême pour la vie et pour la mort est identique pour tous.”4

• Nous avons déjà parlé de points communs entre l’islam et le bouddhisme. Quel est le point commun entre les bouddhisme et le catholicisme ?
Selon Daisaku Ikeda, qui a fait la préface du recueil des entretiens que nous avons eus avec beaucoup de chrétiens5, c’est l’amour pour l’humanité. Dans le christianisme il vient de l’amour de Dieu et dans le bouddhisme il vient de l’existence de la nature de bouddha. Au niveau des conséquences, de l’effet, le résultat est le même, c’est respecter tout le monde.
Deuxième point, quand on compare les vies de Shakyamuni et de Jésus-Christ, on trouve un point commun, la manière de vivre. Ils ont consacré leur vie à libérer les hommes de la souffrance inhérente à chaque individu. Ils ont aussi un autre point commun: se fonder sur le principe de la non-violence, de ne jamais sacrifier les autres pour obtenir son propre bonheur.
Troisième point, c’est la croyance en la vie après la mort. C’est vrai que le monde après la mort est différent mais les deux religions insistent sur l’existence d’un monde après la mort pour que les êtres humains puissent mener une vie fidèle à l’éthique, à la morale.
Enfin ils partagent la même vision des droits de l’Homme : Jésus-Christ à partir du fait que devant le Créateur tous les êtres sont libres et égaux, Shakyamuni en partant de la nature de bouddha.
Le bouddhisme développe également une réflexion très claire concernant l’environnement, le respect de toutes les autres espèces sur la planète, et la création de la solidarité humaine.





Yoichi Kawada. Né dans la préfecture de Kagawa au Japon en 1937, il est diplômé de l'université de Kyoto et a achevé son doctorat d'immunologie en 1968. Il est une figure reconnue du champ de l'histoire et de la philosophie bouddhistes, qui rapproche les perspectives bouddhiques sur les problématiques contemporaines telles que la bioéthique et la pratique de la médecine clinique. Le Dr Yoichi Kawada a été nommé directeur de l'Institut de Philosophie Orientale en 1988.

Notes

  • 1. Lokesh Chandra : Spécialiste éminent du bouddhisme et des arts de l’Inde. Un dialogue avec Daisaku Ikeda a été publié en anglais en 2009, sous le titre Buddhism: A Way of Values, Ed. Eternal Ganges Press.
  • 2. Les six premières consciences sont liées aux cinq sens et à leur synthèse mentale pour la perception du monde exterieur. La 7e concerne la conscience de soi et la capacité de discernement. Voir Les neuf consciences
  • 3. Dix états : Dix conditions de vie inhérentes à chaque être vivant. Voir Les dix états.
  • 4. Dialogue entre Daisaku Ikeda et Lokesh Chandra publié dans 3e Civ' n° 476.
  • 5. Non encore paru en français.
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