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Nagarjuna fut un érudit et un philosophe important de l'Antiquité indienne. Il écrivit de nombreux traités et organisa les fondements théoriques de la pensée du Mahayana, contribuant ainsi grandement à son essor. Il est connu pour avoir élaboré la doctrine de la vacuité, ou non-substantialité (skt. sunyata, jpn. ku), ainsi que celle de la Voie du milieu.

Nagarjuna naquit dans le sud de l’Inde au IIe siècle de notre ère, au sein d’une famille de brahmanes1. Il fut donc d’abord éduqué dans le brahmanisme, mais s’intéressa bien vite au bouddhisme, en se tournant d’abord vers les enseignements du Theravada2 qui étaient largement dominants.

On dit que Nagarjuna se plongea dans les textes de ce courant bouddhique avec une telle ardeur qu’il parvint à les maîtriser en seulement quatre-vingt-dix jours. Mais il en ressortit insatisfait, avec le sentiment d’avoir exploré le fond d’un enseignement mais pas la vie elle-même. Il partit alors en quête d’autres sûtras, gardés par les encore très rares adeptes du Mahayana3. En un temps où les déplacements étaient particulièrement périlleux, il se rendit jusqu’au cœur de l’Himalaya où il reçut d’un moine âgé des copies de certains écrits du Mahayana.

Il poursuivit ses recherches sans se ménager, débattit ici et là avec des moines et, finalement, obtint la révélation que le Sûtra du Lotus représentait le sommet du bouddhisme.

Les concepts de vacuité et de Voie du milieu

Dans la philosophie indienne à l’époque, il était beaucoup question de vide ou de néant. Mais Nagarjuna avait la conviction que ces notions, qui conduisaient parfois au nihilisme, étaient mal comprises. Ses recherches approfondies le menèrent finalement à une appréhension de la vacuité comme étant non pas un vide figé et désespérant, mais une potentialité pleine de promesses.4

« Pour le spectateur ordinaire, explique Daisaku Ikeda, divers objets ou phénomènes semblent naître du néant. Mais ce qui les précède, en fait, n’est pas le néant, mais l’état de ku, état de potentialité, ou latence, décrit par Nagarjuna. »5

Et il explique ensuite : « Le raisonnement de Nagarjuna est le suivant : le feu […] a besoin de bois de chauffage pour exister. De même, le bois de chauffage ne peut pas être appelé bois de chauffage sans l’existence d’un feu – sinon, il ne peut être qualifié que de “morceau de bois”.
Autrement dit, on ne peut dire ni du feu ni du bois de chauffage qu’ils ont une existence absolue, indépendante l’une de l’autre. Mais on ne peut pas dire non plus qu’ils n’existent pas du tout. Ils existent à l’état de “vide” ou de potentialité, ils s’attendent l’un l’autre pour parvenir à exister de manière concrète. Tous les êtres ont en commun cette nature dépendante, venant à l’existence par le processus de production conditionnée, et c’est ce que décrit le concept de ku ou de “vacuité”. Ce n’est ni l’être ni le non-être, mais un état qui transcende les deux. »

Ainsi, la notion de vacuité amène à ce que Nagarjuna appelle la Voie du milieu, voie qui évite les extrêmes du réalisme (croire à une existence propre des choses) et du nihilisme (nier toute existence ou toute valeur aux phénomènes) et permet d'agir avec sagesse et dicernement au coeur de la réalité du monde.6

Dans le Mulamadhyamakakarika (“Stances-racines de la Voie du milieu”), son oeuvre majeure, Nagarjuna écrit :

Ce qui dépend de conditions, je le déclare vide.
Ce qui est vide, c’est cela même qui est la voie du milieu.
MMK 24.18

Un maître de la lignée du Sûtra du Lotus

La doctrine de Nagarjuna permit au bouddhisme Mahayana de prendre son essor, si bien qu'il fut par la suite unanimement respecté comme le fondateur des huit écoles mahayaniste principales du bouddhisme japonais du temps de Nichiren (Kusha, Jojitsu, Ritsu, Hosso, Sanron, Kegon, Tendai et Shingon). De même, Nichiren cite fréquemment Nagarjuna dans ses écrits et il le considère comme l'un des successeurs du Bouddha et maître de la lignée dont lui-même se revendique, celle du Sûtra du Lotus. Il écrit par exemple :

En Inde, après la disparition du Bouddha, le bodhisattva Nagarjuna fut le seul à comprendre véritablement la relation entre le Sûtra du Lotus et les autres sûtras...
Nichiren, Lettre de Teradomari, Ecrits, 206.

La pensée de Nagarjuna s’inscrit effectivement dans le même horizon spirituel que celle du Sûtra du Lotus : l'universalité de l’Eveil, la non-distinction entre bouddhas et êtres ordinaires, la reconnaissance de l'interdépendance des phénomènes, l'importance accordée à la compassion, etc.

Sept siècles environ séparaient Nagarjuna de Shakyamuni. De même que la Soka Gakkai, à notre époque, a donné sa pleine dimension de à l’enseignement de Nichiren, Nagarjuna chercha en son temps à revenir à l’esprit originel du bouddhisme. Cela lui valut d’être appelé par certains « le deuxième Bouddha » et, au XIXe siècle, Karl Jaspers7 le classa même parmi les quinze plus grands philosophes de toute l’histoire de l’humanité.

C’est au prix d’une lutte intense et en y engageant toute sa vie que Nagarjuna a pu déployer sa pensée qui a bouleversé les conceptions en cours à son époque.

Bien sûr, ses enseignements peuvent paraître aujourd’hui complexes et très théoriques. Mais ils ont participé à l’histoire du bouddhisme et, dans un contexte dominé par le Theravada, le Mahayana avait aussi besoin de se définir des bases conceptuelles solides pour s’affirmer et faire vivre l’idéal du bodhisattva8. En un sens, on peut dire que sans Nagarjuna, le bouddhisme ne serait peut-être pas parvenu jusqu’à nous.

 

Article adapté de l'Histoire du bouddhisme Mahayana, partie 6, paru dans Valeurs humaines n°117-118, juillet-août 2020.

 
  • 1. Membres de la caste indienne des prêtres, la plus élevée dans l’ordre social de l’Inde ancienne.
  • 2. Theravada ou Hinayana : enseignement qui, du point de vue mahayaniste vise au salut personnel ou l’atteinte du stade d’arhat dans lequel on quitte définitivement le cycle de la naissance et de la mort.
  • 3. Enseignement qui stipule que la bouddhéité est accessible à tous et vise le salut de tous les êtres vivants. La pratique de bodhisattva y est présentée comme un moyen d’atteindre l’illumination à la fois pour soi-même et pour les autres.
  • 4. Pour en savoir plus sur ce concept, lire l'article Le vide, réservoir de l’infini
  • 5. Daisaku Ikeda, Une histoire du bouddhisme Mahayana de l’Inde à la Chine, Les Indes savantes, 2011, p. 116.
  • 6. Pour en savoir plus sur ce concept, lire l'article La Voie du milieu
  • 7. (1883-1969) Psychologue et philosophe germano-suisse, représentatif de l'existentialisme.
  • 8. Pour en savoir plus sur ce concept, lire l'article La compassion du bodhisattva

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