“Accumulation d'horloges”, gare St-Lazare, Paris. Par le sculpteur Armand (1928-2005).

Le bouddhisme propose une voie de développement – la “révolution humaine” – qui, comme toute voie spirituelle, s'assimile plus à une course de fond qu'à un sprint... Ainsi, il est certain que la personne qui persévère correctement dans sa pratique peut expérimenter un épanouissement significatif au fil du temps.

Pour autant, il n'existe pas de “parcours fléché” dans la foi, car chaque instant représente un nouveau point de départ. Si les jours, les mois et les années passées à poursuivre la voie bouddhique ont pour effet de transformer ceux qui la suivent, c’est la manière dont on vit ce temps qui décidera en définitive du bienfait obtenu. Le facteur temps est-il si important dans ce processus et, si oui, dans quelle mesure ?

Le temps vécu intensement

Pour questionner l’importance du temps de pratique en bouddhisme, il est nécessaire d’aborder la notion de “temps vital”.

A ce sujet, le philosophe nord-américain Ralph Waldo Emerson (1803-1882) expliquait que “ce qui importe est la profondeur avec laquelle nous vivons notre existence et non sa durée apparente, superficielle. Nous pénétrons dans l’éternité [...] et, réellement, la moindre accélération de la pensée et le moindre accroissement de notre pouvoir de penser font que la vie paraît, et est, d’une très longue durée.”

De ce point de vue, ce qui importe vraiment est la profondeur avec laquelle nous vivons notre pratique. Vivre avec intensité permet de créer, au cours d’une année, la valeur équivalente à dix années ou plus.

C’est-à-dire que lorsqu’on décide d’adopter l’enseignement bouddhique comme axe de vie, d’approfondir sa compréhension, de le mettre en pratique avec sérieux et d’essayer de faire de chaque événement une occasion pour en expérimenter les principes, on obtiendra sans aucun doute de grands bienfaits. Car la transformation profonde de notre vie intérieure se reflète à l'extérieur.

Trois sortes de temps

Dans son essai “Histoire et Eschatologie” le philosophe russe Nikolai Berdjaev (1874-1948) distingue trois sortes de temps : cosmique, historique et existentiel.

Le temps cosmique est celui que l’on peut mesurer au moyen d’un calendrier ou d’une montre. II s’agit du mouvement régulier de la planète au sein du système solaire.

Le temps historique fait allusion à une division tracée sur l’axe du temps cosmique : le “20e siècle”, l’an “100 avant J.-C.”, “aujourd’hui” entrent de cette catégorie de temps. Selon Nikolai Berdjaev, ces deux classifications correspondent au temps écoulé. Particulièrement dans le cas du temps historique, l’idée exprime la faculté du futur de “dévorer” le temps présent en le transformant en passé.

En termes quotidiens, cela correspond à la tendance qui nous pousse à laisser passer le temps, permettant que demain soit une simple continuation d’aujourd’hui, sans faire aucune sorte d’efforts pour réaliser quelque changement positif.

Le philosophe russe introduit alors la notion de “temps existentiel” c’est-à-dire celui que l’on expérimente quand on se libère du temps écoulé dans l’inertie quotidienne. C’est la possibilité de vivre avec la confiance que nos actions vont mettre chaque instant à profit, s’en emparer, en nous permettant d’influer positivement sur les circonstances et d’accomplir ainsi notre mission humaine intrinsèque.

Selon Berdjaev, le temps existentiel est d’une telle profondeur qu’il ne peut s’exprimer par aucun calcul mathématique. Un instant du temps existentiel peut avoir plus d’importance, de plénitude et de durée apparente que plusieurs périodes du temps physique ou historique. Il se mesure par l’intensité de la joie ou de la souffrance que l’on expérimente dans les moments où le temps semble s’être arrêté.

Pour approfondir un peu plus la notion de temps existentiel, ou temps vital, mentionné auparavant, nous pouvons dire que tout dépend de notre état de vie. Celui qui vit dans l’état d’enfer se reconnaît à une absence totale de joie. Son espace vital est très réduit, comme s’il se trouvait dans une étroite cellule. Le temps vital de cette personne s’écoule avec une lenteur angoissante.

A l’opposé, la condition de vie de la bouddhéité se caractérise par une joie si immense qu’elle se trouve pratiquement inextinguible. Ce temps vital s’écoule avec une intensité et une rapidité extraordinaires. Et si nous revenons à la question du temps consacré à la pratique bouddhique, celui-ci nous permet précisément de puiser une telle énergie vitale de manière quotidienne.

Le temps de pratique

Le nombre d’armées de pratique est-il important ? A cette question, la réponse est que “ça dépend”. Ceux qui commencent la pratique bouddhique (car il s’agit bien d’une pratique) entament un processus d’apprentissage et d’assimilation. La pratique au sein du mouvement Soka inclut la création de valeurs (jap. soka), signifiant que le passage des années de pratique devrait être synonyme d’un effort constant pour se forger soi-même afin de parvenir à manifester des valeurs humaines. Par conséquent, la date où l’on a commencé à pratiquer (temps historique) et le temps que l’on a consacré à notre développement (temps existentiel, vital) diffèrent totalement.

Le deuxième président du mouvement Soka, Josei Toda, avait l’habitude de s’appuyer sur cette distinction pour illustrer l’importance d’acquérir une foi solide pour pouvoir continuer à pratiquer durant quinze ou vingt ans.

Il est certain que l’accumulation de nombreuses expériences dans lesquelles notre foi a été mise à l’épreuve forge notre conviction, ce qui est en fait la meilleure méthode pour mesurer notre avancée et notre progression. Etant donné la difficulté de maintenir une pratique ferme et persévérante tout au long des années, il est important de comprendre que le temps de la réussite viendra dans la vie de chacun. Ce but devient un encouragement pour aller de l’avant, quoi qu’il arrive. Et, bien que pour le moment le thème abordé reste un discours théorique, pour qu’il devienne réalité, il manque un élément récurrent dans notre article : le temps lui-même...


Tiré de 3e Civ' n°557, janvier 2008, pp.30-31.

Ce qui importe est la profondeur avec laquelle nous vivons notre existence et non sa durée apparente, superficielle.
Ralph Waldo Emerson

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