À l’époque de Nichiren, le Japon était gouverné par des militaires, ou shoguns, installés à Kamakura. Le shogunat dura de 1185 à 1333.
Avant cette période, l’empereur exerçait le pouvoir militaire. Vers le VIIème siècle, ses fonctions étant devenues plus religieuses, il attribua au général en chef de l’armée le titre de shogun, et l’administration mise en place s’occupa des affaires courantes. Mais petit à petit, la bureaucratie délaissa sa charge et fut remplacée par des paysans-guerriers : les samouraïs. Leurs terres appartenaient à des aristocrates ou à des temples bouddhistes.
Pour renforcer leur position, ils louèrent leurs services à des clans plus puissants et devinrent des guerriers professionnels, laissant le travail de la terre à des ouvriers.
C’est aussi à cette époque que se développa le clan des Fujiwara, puissante famille qui centralisait entre ses mains richesse, pouvoirs militaires et politiques, mariant leurs filles à des empereurs et plaçant les enfants sur le trône. Ce qui poussait les empereurs à abdiquer, souvent temporairement, car ils continuaient de régner parallèlement.
Cette situation confuse poussa d’autres clans (Taira, Minamoto, Hojo, ...) à vouloir occuper le siège de souverain, et c’est ainsi qu’ils firent appel aux samouraïs. Finalement, en 1185, les forces de Minamoto no Yorimoto l’emportèrent sur celles des Taira. Il installa un gouvernement militaire à Kamakura, sans renverser l’administration en place à Kyoto, et chercha même l’approbation de l’empereur. Ce qui lui valut le titre de shogun en 1192. Mais progressivement, la gestion du pays fut donnée à ses propres officiers et à des membres de la famille de sa femme, les Hojo.
À sa mort en 1199, son fils de 18 ans lui succéda, mais il fut démis de ses fonctions et son frère assassiné, ce qui mit fin à la dynastie de Yorimoto et laissa le champ libre aux Hojo. Ces derniers prirent le titre d’Intendant, et par la suite, placèrent des enfants sur le trône pour garder l’exécutif.
Quant aux empereurs déchus, ils essayèrent d’éliminer le shogunat pour reprendre les rênes du pouvoir, mais leurs troupes furent défaites en 1221. Le gouvernement de Kamakura exila les empereurs et garda le contrôle sur la cour.
C’est dans ce climat historique troublé qu’apparut Nichiren.
Tiré de Nichiren, le moine bouddhiste visionnaire, Masaharu Anesaki, Editions Myoho, Paris, 2006.
Arrière-plan religieux
Au milieu du VIe siècle, si l’on en croit les récits traditionnels, le bouddhisme fut introduit au Japon en provenance de Corée. Tout d’abord, il suscita une forte résistance chez les adeptes de la religion Shinto, mais, avec le temps, il acquit les faveurs des classes privilégiées. Bientôt, le gouvernement joua un rôle actif dans le soutien de la nouvelle religion, fondant des temples, accueillant des moines venus de l’étranger et envoyant des moines japonais sur le continent pour y faire des études. La grande ville de Nara, qui fut la capitale du pays de 710 à 784, était célèbre pour le nombre imposant de ses temples et la gigantesque statue en bronze du bouddha Vairochana, érigée aux frais du gouvernement en 749.
Mais les diverses formes de bouddhisme introduites au Japon à cette époque, bien que Mahayana, en principe, avaient tendance à se préoccuper de questions de doctrine complexes et de l’observance de règles monastiques compliquées. Au-delà de l’imposante majesté et de la beauté des bâtiments et des statues, il n’y avait pas grand-chose, dans ce bouddhisme, qui puisse attirer les personnes ordinaires, d’un niveau d’éducation limité, ou être compris par elles. Les aristocrates soutenaient cette religion parce qu’ils pensaient qu’elle contribuerait à assurer leur bien-être personnel ainsi que leur sécurité et celle de l’Etat. Mais, dans les couches les plus modestes de la société japonaise, il est peu probable que l’influence bouddhique ait alors été profonde.
Les écoles Tendai et Shingon
Au début de l’époque Heian, deux nouvelles écoles bouddhiques furent introduites au Japon, en provenance de Chine. La première fut celle de Tiantai, celle qu’on appelle, en utilisant la prononciation japonaise, l’école Tendai, introduite par Saichô (767-822) à qui l’on se réfère plus souvent sous le nom de Dengyô Daishi, ou Grand Maître Dengyô. Les principes du Tendai, qui sont tirés du Sûtra du Lotus, forment l’un des éléments constitutifs principaux du bouddhisme de Nichiren.
La seconde école fut celle du Shingon, celle du bouddhisme ésotérique, introduite au Japon par Kûkai (774-835) appelé aussi Kôbô Daishi. Elle insistait sur le rôle de la musique et des arts pour aider à parvenir à la compréhension religieuse, et prônait divers rituels mystiques pour protéger du mal et atteindre le salut.
Ces deux nouvelles écoles bénéficièrent toutes deux du soutien du gouvernement, mais préférèrent établir leur centre dans des retraites au sommet de montagnes quelque peu à l’écart de la cour. Le temple principal de l’école Tendai était situé au mont Hiei, au nord-est de Kyoto, celui du Shingon sur le mont Kôya, loin au sud. Ces deux monastères de montagne jouèrent un rôle vital dans les siècles suivants en tant que centres d’étude du bouddhisme, le premier ayant notamment servi de lieu d’entraînement pour les plus grands maîtres du bouddhisme, y compris Nichiren Daishonin. Pourtant, même si ces deux écoles insistaient sur le fait que tous les êtres humains ont la possibilité d’atteindre la bouddhéité, elles semblent avoir peu fait pour répandre ce message dans le peuple. Au contraire, le Shingon, et en son temps le Tendai également, se préoccupèrent de plus en plus de l’exécution de rituels compliqués et d’incantations mystiques ; ils s’impliquèrent dans des luttes sordides pour le pouvoir avec d’autres écoles ou constituèrent des factions hostiles à l’intérieur de leur propre école.
Le Nembutsu, ou culte du bouddha Amida
A ses débuts, le bouddhisme japonais, et en particulier l’école Tendai, avaient insisté sur le fait qu’il est possible à un individu de parvenir à l’illumination ou à la bouddhéité en cette vie grâce à ses propres efforts. Mais la conviction qu’en entrant dans l’époque des Derniers Jours de la Loi 1 de tels espoirs n’étaient pas réalistes se répandit de plus en plus. On pensait que, dans un âge dégénéré, les hommes devaient se tourner vers une source extérieure pour obtenir le salut. C’est ainsi que, à cette époque, la référence au bouddha Amida prit de plus en plus d’importance. Amida est un bouddha qui règne sur une Terre pure (Jôdo) appelée aussi Paradis de l’Ouest. On disait qu’il avait fait le voeu de sauver tous ceux qui invoqueraient son nom et veillerait à ce que, après leur mort, ils renaissent, pour une vie de béatitude, dans ce domaine lointain du Paradis de l’Ouest.
La dévotion au bouddha Amida était très populaire dans le bouddhisme chinois, et fut très tôt introduite au Japon. Mais ce fut seulement à l’époque Heian qu’elle commença à attirer de nombreux adeptes. On comprend aisément ce qui la rendait à ce point attirante. Elle n’exigeait des croyants aucune pratique religieuse épuisante, ni l’observance de règles de discipline sévères. Il suffisait de prononcer la formule simple appelée Nembutsu avec une foi sincère, et l’on vous promettait le salut.
Les aristocrates, et notamment les membres de la famille des Fujiwara, montrèrent l’enthousiasme que suscitait chez eux le culte d’Amida en faisant élever des temples magnifiques ornés de statues dorées. Simultanément, des moines allèrent dans le peuple prêcher le message du salut par Amida et chanter ses louanges. Cela eut pour effet de répandre le bouddhisme plus que jamais auparavant dans les classes inférieures de la société et finit par exercer une influence profonde sur la vie spirituelle du pays.
Tout d’abord, le culte du bouddha Amida resta seulement un élément parmi diverses pratiques religieuses des écoles Tendai et Shingon, les écoles dominantes à l’époque Heian. Mais, à la fin de cette époque, deux guides religieux énergiques apparurent, qui s’écartèrent des écoles plus anciennes et établirent l’Amidisme comme une forme particulière de bouddhisme. Le premier fut Hônen (1133-1212), fondateur de l’école Jôdo ou école de la Terre pure. L’autre fut Shinran (1173-1262), dont les disciples en vinrent à constituer l’école Shin, ou école de la Véritable Terre pure. Tous deux avaient reçu leur éducation religieuse au mont Hiei, mais furent par la suite contraints à quitter les alentours de la capitale pour s’être opposés aux écoles bouddhiques plus anciennes. Leurs enseignements, à un moment donné, devinrent extrêmement populaires, surtout dans les régions rurales.
L’école Zen
La culture de l’époque de Kamakura, en un sens, marquait une brutale rupture avec le passé et, dans l’autre, en était la continuation. Les samouraï, comme il convenait à une classe de guerriers dans une société féodale, attachaient une grande importance à un mode de vie simple, au courage personnel et à une loyauté indéfectible envers leur seigneur. Il y avait une rudesse et une violence dans la vie quotidienne à l’époque de Kamakura qui reflètent une éthique de guerriers. Ce fut une époque où même les temples bouddhiques s’armèrent pour défendre leurs propriétés et leurs prérogatives ; le recours aux armes ne semblait jamais une possibilité très lointaine.
Pour développer le prestige de leur ville et de leur gouvernement les autorités shogunales protégèrent une nouvelle forme de bouddhisme appelée Zen. Le Zen était l’école bouddhique dominante en Chine à l’époque, et les moines japonais voyageant sur le continent l’y étudièrent sur place et en ramenèrent les enseignements avec eux. Ils essayèrent de les introduire à Kyoto au début du XIIIe siècle, mais rencontrèrent une violente opposition de la part des écoles bouddhiques établies. Il était naturel, par conséquent, qu’ils se rendent à Kamakura, où les écoles reconnues avaient moins d’influence, et qu’ils essaient d’intéresser les chefs du gouvernement militaire à leurs doctrines. Les membres du clan Hôjô et leurs vassaux répondirent avec enthousiasme, fondant des temples pour la nouvelle école et invitant des maîtres du bouddhisme chinois à venir à Kamakura. Dôryû, ou Tao-long, à qui Nichiren Daishonin se réfère fréquemment, fut l’un de ces moines chinois qui reçurent de grandes faveurs du régime Hôjô.
Dans ses principes de base, le Zen ne diffère pas des autres écoles du bouddhisme Mahayana. Mais, à la différence des autres écoles qui insistent sur l’importance de l’étude des sûtras et des autres textes sacrés, ou sur le pouvoir salvateur de tel ou tel bouddha ou bodhisattva, le Zen enjoint ses adeptes à obtenir l’illumination de la même manière que Shakyamuni y parvint lui-même — en passant d’innombrables heures assis en méditation dans la pose du lotus. Il minimisait ainsi l’importance de l’étude au profit de la discipline, de l’effort personnel inlassable et de l’obéissance au maître Zen. Il est facile de comprendre en quoi un tel enseignement pouvait plaire aux membres d’une classe de guerriers.
L'apparition du bouddhisme de Nichiren
Telle était donc la situation religieuse lorsque Nichiren Daishonin fit son apparition. Les écoles bouddhiques plus anciennes, dont les centres se trouvaient à Nara et à Kyoto, continuaient à jouir d’une influence et d’un prestige considérables, même lorsqu’elles étaient affaiblies par les factions et les mondanités. Les bouddhistes de la Terre pure, ou croyants du Nembutsu, comme les appelle Nichiren Daishonin, devenaient de plus en plus nombreux, constituant un élément religieux très important, notamment dans les campagnes. Le Zen, bien que protégé par le shogunat de Kamakura et plus tard par la cour de Kyoto, restait confiné dans ces deux villes. Un dernier groupe de bouddhistes mentionné par Nichiren Daishonin est celui des moines de Ritsu, ou école Viyana. Cette école, qui prône l’observance de rituels complexes, ritsu, ou règles de discipline monastique, avait été introduite au Japon à l’époque Nara et connaissait une certaine renaissance à l’époque Kamakura.
La période à laquelle vécut Nichiren Daishonin fut un âge où les Japonais, troublés aussi bien par de rapides changements sociaux qu’ils ne pouvaient pas pleinement comprendre, que par des catastrophes naturelles et la menace d’une invasion étrangère, se trouvaient dans un climat de malaise spirituel et d’interrogation. Ils attachaient une grande importance aux questions religieuses et étaient prêts à polémiquer vigoureusement, et même à avoir recours à la violence physique pour défendre ce qu’ils considéraient comme la vérité. C’était une époque bien différente de celle de tolérance ou d’indifférence religieuse dans laquelle nous vivons actuellement. Pour la comprendre, nous devons faire un effort sincère pour imaginer l’esprit et les motifs de ceux qui la vécurent.
Tiré de l’introduction des Ecrits de Nichiren Daishonin, ACEP, vol. 1, pp.xvii-xxiv.
Note
- 1. ↑ Le bouddhisme enseignait que, après la mort de Shakyamuni, cette religion passerait par trois époques majeures : une époque où la Loi, ou doctrine, fleurirait ; une époque où elle commencerait à décliner ; et une époque finale, appelée Mappô, ou Derniers Jours de la Loi, où elle déclinerait encore plus jusqu’à finalement disparaître. Bien qu’il y eût différentes manières de calculer ces trois périodes, les Japonais croyaient que, vers le milieu du XIe siècle, ils entreraient dans l’époque des Derniers Jours de la Loi. Leur estimation leur paraissait confirmée par le déclin du pouvoir de la cour à cette époque, l’agitation dans les régions lointaines et divers autres signes de dégradation de l’ordre social.