Claude Lévi-Strauss (1908-2009) : anthropologue et ethnologue français qui a exercé une influence majeure à l'échelle internationale sur les sciences humaines et sociales dans la seconde moitié du XXe siècle.

Claude Lévi-Strauss, nous a quittés, centenaire, le 30 octobre 2009. Un est des rares, avec Gide, Sartre ou Malraux, à être entré de son vivant dans la prestigieuse Bibliothèque de La Pléiade. Une consécration pour l’auteur de Tristes tropiques.

Le volume de la Bibliothèque de la Pléiade consacré à Claude Lévi-Strauss a été publié en mai 2008. Il rassemble sept livres majeurs, dont le célèbre Tristes tropiques (1955) traduit en vingt-sept langues. Si celui-ci débute par la phrase « Je hais les voyages et les explorateurs », il y est bien question de voyages et d’explorations !

Pourquoi « tristes » tropiques

Le jeune agrégé de philosophie, futur académicien (1973), y raconte comment il est devenu ethnologue. Un dimanche de l’automne 1934, il reçoit un coup de téléphone du directeur de l’Ecole normale supérieure lui proposant d’aller enseigner à l’université de Sao Paulo. A vingt-sept ans, le voilà embarqué pour le Brésil. Entre 1935 et 1939, il entreprend plusieurs expéditions dans la forêt amazonienne, chez les Indiens Caduveo et Bororo, puis chez les Nambikwara.

Les notes qu’il prend pendant ses voyages, qui le conduiront aussi à New York et en Inde, constituent la trame de Tristes tropiques. Il découvre la vie d’« épuisement physique et mental constant » de l’ethnologue de terrain, Les contacts humains alimenteront la réflexion philosophique de cet homme écartelé entre deux mondes et toujours mal à l’aise avec la civilisation occidentale. Dominatrice, elle méprise la pensée dite « sauvage » ou « primitive » et a détruit de grandes civilisations. C’est en cela que les Tropiques sont tristes.

Renouer le lien avec le monde naturel

Or, nous dit Didier Eribon qui a préfacé l’ouvrage, Claude Lévi-Strauss démontre que « la pensée des peuples sans machines et sans écriture est complexe et élaborée : c’est une logique de classification ancrée dans un rapport fondamental au sensible et au concret. Et ces formes mentales n’ont d’ailleurs pas disparu de nos sociétés : elles y subsistent dans la poésie ou dans l’art du bricolage »1.

La distinction entre primitif et civilisé est, ainsi, factice. Aucun être ne vit de façon isolée. Chacun n’est définissable que par les relations d’équivalence ou d’opposition entretenues avec les autres, cet ensemble de relations formant une « structure ». D’où le terme de structuralisme : appréhender la réalité sociale comme un ensemble formel de relations. Lévi-Strauss relativise ainsi la place du sujet cher à l’existentialisme de Sartre. Ce sujet n’existe que dans sa relation avec l’autre. Il affirme que les infrastructures sont constituées non seulement d’êtres productifs, mais aussi de plantes, d’animaux et même d’entités hybrides – personnages mythiques ou totems – en relation d’interaction. Le structuralisme doit être généralisé à l’ensemble des formes naturelles. Il propose de renouer le lien avec le monde naturel que la civilisation technologique a rompu.

Lévi-Strauss et son approche du bouddhisme

On peut relever des similitudes avec celle du bouddhisme : un sujet combinaison temporaire de cinq agrégats, l’interdépendance des phénomènes (engi) ou la relation étroite entre les êtres et leur environnement naturel (esho funi). Il n’est donc pas fortuit que Lévi-Strauss aborde le bouddhisme dans « Le retour », dernière partie de Tristes tropiques. Au fil de ses voyages au Pakistan et en Inde, il invite à une méditation comparative entre le bouddhisme indien et les monothéismes2 .

Il constate la bienveillance universelle du bouddhisme3 et la place qu’il accorde à la féminité4. Il écrit : « Qu’ai-je appris d’autre, en effet, des maîtres que j’ai écoutés, des philosophes que j’ai lus, des sociétés que j’ai visitées et de cette science même dont l’Occident tire son orgueil, sinon des bribes de leçons qui, mises bout à bout, reconstituent la méditation du Sage au pied de l’arbre ? »5 Pour lui, nous n’avons, depuis, rien trouvé de mieux. « Pas plus que l’individu n’est seul dans le groupe et que chaque société n’est seule parmi les autres, l’homme n’est seul dans l’univers »6, conclut-il.

Des paroles de sagesse que le Bouddha lui-même aurait pu prononcer. L’ethnologue humaniste nous exhorte à considérer que la richesse de l’humanité tient dans sa diversité. En somme, à nous ouvrir à l’autre pour évoluer ensemble.


Tiré de 3e Civ’ n°581, janvier 2010, p.29.

Le “doodle” de Google en hommage à Claude Lévi-Strauss. [DR]

Notes

  • 1. Le Nouvel Observateur, novembre 2009.
  • 2. lI s’inquiète du port de la burqa, « appareil orthopédique... ses guichets en passementerie pour la vision... », écrit-il. (Pocket, 2009, p.482)
  • 3. Ibid., p.484.
  • 4. Ibid., p.488.
  • 5. Ibid., p.493.
  • 6. Ibid., p.497.

Pas plus que l’individu n’est seul dans le groupe et que chaque société n’est seule parmi les autres, l’homme n’est seul dans l’univers.
Claude Lévi-Strauss

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