Statue représentant le bodhisattva Sensible-aux-sons-du-monde (hindi: Avalokiteshvara, jap. Kannon). Ce bodhisattva est sans doute le plus populaire parmi les bouddhistes du Mahayana. Il apparaît pour la première fois dans le 25e chapitre du Sûtra du Lotus. Il est doté de 11 têtes pour entendre les souffrances de tous les êtres vivants et leur prêcher la Loi, et de mille bras pour leur venir en aide. [DR]

Comment préserver l’esprit originel du bouddhisme et faire perdurer ses enseignements ? Le courant du Mahayana est né du désir de mettre les enseignements bouddhiques à la portée de tous et de les faire évoluer avec leur temps.

A l’image d’un « grand véhicule » pouvant conduire tous les êtres à l’éveil, le bouddhisme Mahayana prône l’idéal du bodhisattva, comme une voie de salut pour soi et les autres.

Le Premier Concile

L'année de la mort de Shakyamuni, un conclave bouddhique – ou concile – se réunit dans un lieu appelé Saptarna-guha, ou la grotte des Sept Feuilles. Mahakashyapa, l'un des principaux disciples de Shakyamuni, y rassembla cinq cent moines afin de recueillir et d'ordonner les enseignements du Bouddha, et ainsi formaliser pour la première fois le Canon de la religion bouddhiste naissante.

Mahakashyapa présida le concile, tandis qu’Ananda et Upali, disciples proches du Bouddha et réputés pour leur grande mémoire, eurent pour rôle de réciter les paroles du maître telles qu'ils les avaient mémorisées. Ananda récita les mots du Dharma – ce que l'on finit par appeler les sûtras – tandis que Upali récita les règles et préceptes connus sous le nom de vinaya.

Cette récitation de groupe fut d’une importance essentielle car, le papier n’existant pas à l’époque, chaque membre du concile devait mémoriser les mots du sermon afin de les transmettre ensuite, oralement, à d’autres. Chaque récitation était soumise à un examen attentif de l’assemblée avant de faire l’objet d’une récitation commune. En raison de cette procédure, le Premier Concile est parfois appelé « première récitation de groupe », ainsi que « première compilation » des enseignements.

L’émergence d’un courant de réforme

Cent ans plus tard eu lieu le deuxième Concile bouddhique. En un siècle, la culture et le mode de vie indiens avait beaucoup évolués. Le bouddhisme s’était progressivement étendu au sein du peuple et dans toutes les couches de la société. Et il était inévitable que ses enseignements firent l'objet d'interprétations différentes.

A partir de cette époque, la communauté bouddhique semble s'être divisée en deux courants majeurs, l'un connu sous le nom de Theravada, ou « Enseignement des aînés », l'autre sous le nom de Mahasanghika, ou « Membres du grand Ordre ». Le premier groupe privilégiait la vie monacale alors que le deuxième privilégiait le contact avec les personnes ordinaires, pour partager leurs souffrances et les encourager dans la pratique de la foi bouddhique.

Le Mahasanghika a débuté comme un mouvement de réforme initié par les moines de la ville de Vaishali, carrefour d’échanges commerciaux et centre d’affaires prospère. On peut imaginer que l'atmosphère de cette ville, plutôt progressiste et cosmopolite, avait dû favoriser ce nouveau courant, qui visait à briser l’isolement excessif de la communauté monacale traditionnelle.

Le bouddhisme était originellement destiné à tous les hommes et femmes, quelle que soit leur classe sociale, et non pas à une classe particulière. C’est ce qu’affirmaient les dirigeants de ce nouveau mouvement, et ils appelèrent à un retour à l’esprit originel du bouddhisme, tel que prêché par Shakyamuni.

Deuxième Concile et schisme

Les moines de Vaishali souhaitaient assouplir les règles de la discipline monacale, devenue dépassées et trop restrictives à leurs yeux. Mais les membres aînés, plus conservateurs, ne tardèrent pas à apprendre la nouvelle et à s’en inquiéter.

Un certain nombre de moines aînés de toute l’Inde décidèrent de se rassembler sans attendre, dans un jardin de la ville de Vaishali, afin de se pencher sur ce problème. Ce Deuxième Concile rejeta expressément les propositions avancées par les moines de Vaishali. Ces derniers rassemblèrent alors un groupe de dix mille moines et tinrent leur propre concile, connu sous le nom de « Récitation du grand groupe ». Plus tard, on donna à ce groupe le nom de Mahasanghika, ou « Membres du Grand Ordre », et la communauté bouddhique se trouva scindée en deux mouvements.

Par la suite, les disciples du bouddhisme Mahayana employèrent l'expression péjorative de Hinayana, ou « petit véhicule », pour désigner le groupe Theravada.

L'arhat et le bodhisattva

La rupture entre les groupes Theravada et Mahasanghika est apparue au sujet des règles de discipline. Mais, plus profondément, elle provenait d'une divergence dans leur démarche religieuse.

Le Pr. Hirotomo Mizuno dénombre six distinctions notables entre Mahasanghika et Theravada :

  • L'idéal visé. Pour le Theravada, l'état d'éveil atteint par Shakyamuni est hors d'atteinte. En se soumettant rigoureusement aux règles de discipline, un moine peut aspirer au stade d'arhat, ou saint. Un arhat est une personne qui est parvenue à se libérer du cycle de naissance et de mort lié au karma.
    Pour le Mahasanghika, en revanche, Shayamuni n'est pas considéré comme le seul bouddha. En accomplissant la pratique de bodhisattva comme il l'a fait, il est possible de parvenir au même stade que lui : la bouddhéité.
  • La conception de la souffrance. Le Theravada souligne la loi du karma pour expliquer les divers effets négatifs affligeant les êtres humains, alors que le Mahasanghika met en avant « le voeu et la pratique ». Cela caractérise deux attitudes différentes face à l'existence : la première consiste à considérer la souffrance comme une fatalité dont on ne peut s'échapper qu'en se libérant du cycle des renaissances, afin d'atteindre le nirvana. Le Mahasanghika expose la voie du bodhisattva. Un bodhisattva n'essaie pas d’échapper au monde et ses souffrances mais, au contraire, s’y plonge délibérément, par compassion. Ayant fait le vœu d’aider les autres à atteindre l’illumination, il endosse les souffrances de tous les êtres vivants et cherche activement à les soulager.
  • Soi et les autres. Le Theravada offre avant tout un entraînement pour le perfectionnement individuel, alors que le Mahasanghika se soucie de l'amélioration de la société dans son ensemble et du salut de tous les êtres.
  • La place des écrits. Le Theravada attache une grande importance aux écrits et tend à en donner une interprétation littérale. Par contraste, le Mahasanghika a une approche plus souple des écrits. Ces deux approches ayant toute deux leurs avantages et leurs inconvénients.
  • La place de la théorie. Le Theravada tend à favoriser l'aspect théorique des enseignements, alors que le Mahasanghika valorise la foi et la pratique religieuse. Les tenants du Mahasanghika critiquèrent ceux du Theravada pour leur penchant excessif pour la spéculation, et s'engagèrent dans d'intenses débats doctrinaux avec eux. Paradoxalement, cela mes amena à développer une théorie d'une très grande profondeur, qui devint la caractéristique du Mahayana.
  • La place des moines. Le Theravada considère que l'enseignement bouddhique concerne essentiellement les moines, spécialistes de la doctrine, alors que le Mahasanghika vise à instruire l'ensemble de la population, moines aussi bien laïcs.

Ces points de comparaison permettent de comprendre pourquoi le courant du Mahasanghika a pu bénéficier d'un si grand soutien populaire au fil des siècles et réussit à passer outre les critiques des courants plus conservateurs. Son approche plus souple et ouverte sur la société mena finalement au grand mouvement connu sous le nom de Mahayana.


Article fondé sur D. Ikeda, Une histoire du bouddhisme Mahayana, Les Indes savantes.

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